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Libération
Chronique «Miroir d'outre-Rhin»

L'Allemagne reboulonne Lénine

Miroir d'outre-Rhindossier
Chronique sur la vie, la vraie, vue d’Allemagne. Ce voisin qu'on croit connaître très bien mais qu'on comprend si mal. Au menu de cette semaine, l'érection controversée d'une statue de Lénine à Gelsenkirchen, la première en Allemagne de l'Ouest.
La statue de Lenine dans un atelier à Geselkirchen en mars. (Marcel Kusch/Photo Marcel Kuch. picture alliance .dpa)
publié le 17 juin 2020 à 7h10
(mis à jour le 17 juin 2020 à 10h52)

Gelsenkirchen, dans la Ruhr, ses anciennes mines de charbon, son club de football en Bundesliga (le FC Schalke 04)… et, désormais, sa statue de Lénine. Le moment est, d’une bien étrange manière, historique : une statue de Lénine doit être inaugurée samedi dans cette ville de Rhénanie du Nord-Westphalie. La première de toute l’Allemagne de l’Ouest ! Et ce, contre l’avis de la municipalité.

Le controversé monument, comme le terrain sur lequel il est érigé, appartient au parti marxiste-léniniste d’Allemagne (MLPD). La statue de 2,15 mètres de hauteur, initialement coulée en République Tchèque en 1957, devait être inaugurée en mars devant ce qui est le siège national du parti, mais l’épidémie de Covid-19 a repoussé l’événement.

Aujourd'hui, le comité central du MLPD se réjouit d'annoncer qu'enfin «Lénine arrive à Gelsenkirchen» : «Le temps des monuments dédiés aux racistes, antisémites, fascistes, anticommunistes est clairement révolu»indique la présidente du parti, Gabi Fechtner, citant le cas de l'empereur Guillaume II, «militariste, antisémite et anticommuniste», ajoutant : «Il convient parfaitement, dans ce contexte, d'annoncer que nous érigeons la première statue de Lénine en Allemagne de l'Ouest à Gelsenkirchen samedi à partir de 14 heures.» Le parti précise que des médias feront le déplacement, «dont trois équipes télé venues de Russie».

L'initiative n'a pas remporté tous les suffrages. Dans une résolution unanime adoptée début mars, le conseil de quartier où doit s'élever le monument a affirmé son opposition : «Le leader communiste Lénine est synonyme de violence, d'oppression, de terreur et de souffrance humaine. Tout cela […] en fait un symbole de l'abolition de notre démocratie. Le conseil de quartier n'acceptera pas un tel symbole antidémocratique et exige de l'administration municipale qu'elle épuise tous les moyens légaux pour empêcher l'érection de cette statue à Gelsenkirchen.»

La mairie a alors déposé un recours auprès de la Cour administrative supérieure de Rhénanie du Nord-Westphalie, arguant que le monument ferait de l'ombre à… une ancienne banque, dont le bâtiment des années 30 est classé monument historique. Las, le 10 mars, la Cour a rejeté ce recours, s'en tenant au strict droit patrimonial : «L'évaluation négative de Lénine et de ses actions, sur laquelle la ville de Gelsenkirchen fonde dans une large mesure son attitude hostile, n'a aucun rapport compréhensible avec la déclaration du monument.»

Voilà donc un tonitruant retour de Lénine en Allemagne, depuis le départ en 1992 d’une statue en granit de 19 mètres sur la place qu’on appelait jadis la place Lénine, à Berlin Est – l’endroit s’appelle désormais la «place des Nations unies». Quelques vestiges subsistent bien en ex-RDA, mais d’érection nouvelle, il n’y en eut point depuis les années 80.

L'Allemagne est plutôt habituée à déboulonner des statues ou à rebaptiser des rues au gré des changements politiques, surtout depuis soixante-quinze ans. Plus récemment, le Sénat de Berlin a approuvé le changement de nom de rues rendant hommage à des colonisateurs sanguinaires en Afrique, comme Carl Peters – faisant de Petersallee, dans le quartier berlinois de Wedding, bientôt, un lointain souvenir.