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Libération
Vu de Berlin

Allemagne : Trump réduit ses troupes et en rajoute une couche

Arguant de leur «coût énorme», le président américain a annoncé réduire à 25 000 le nombre de ses soldats stationnés en Allemagne. Un nouveau coup de canif dans des relations entre Berlin et Washington déjà très dégradées.
Une base d'entraînement américaine à Grafenwohr, en Bavière. (Photo Daniel Karmann. DPA. AFP)
publié le 18 juin 2020 à 10h59

Ainsi, la nouvelle sortie de Donald Trump contre l'Allemagne concerne les troupes américaines stationnées dans le pays. Pour le président des Etats-Unis, les 52 000 soldats en Allemagne représentent «un coût énorme pour les Etats-Unis» il souhaite donc en «réduire le nombre» pour le porter «à 25 000». Cependant, ce nombre de 52 000 est, selon le Pentagone, surestimé, du fait de la rotation des unités. Et de manière générale, il a largement diminué en trente ans : s'il y avait autour de 200 000 soldats au moment de la chute du Mur, leur nombre n'a cessé de baisser, passant de 72 400 en 2006 à 33 250 aujourd'hui.

Berlin a aussitôt réagi à cette annonce : «La présence américaine en Allemagne est importante pour la sécurité non seulement de l'Allemagne mais aussi pour la sécurité des Etats-Unis» ainsi que «pour la sécurité de l'Europe», a commenté le ministre des Affaires étrangères, Heiko Maas (SPD), en déplacement en Pologne. De son côté, la ministre de la Défense, Annegret Kramp-Karrenbauer (CDU), a adopté un ton plus irrité mardi soir : «L'Otan n'est pas une organisation commerciale et la sécurité n'est pas une marchandise», a-t-elle déclaré, ajoutant que «l'Otan est fondée sur la solidarité, sur la confiance, sur des valeurs et des intérêts communs».

La présence militaire américaine en Allemagne est le fruit d'une longue histoire. Les accords de Paris signés en 1954 ont marqué la fin de l'occupation par les Alliés et l'adhésion de la RFA à l'Otan. Ces accords ont également permis à huit Etats membres de l'Otan, dont les Etats-Unis, d'avoir une présence militaire permanente en Allemagne. Au fil des ans, l'Allemagne est devenue une base stratégique de l'armée américaine pour toute l'Europe. Ainsi, le QG de l'armée américaine terrestre en Europe est situé à Wiesbaden, tandis que le pays coordonne ses troupes au sein du Commandement des forces des Etats-Unis en Europe (Eucom), à Stuttgart. Au total, cinq des sept garnisons américaines d'Europe sont stationnées en Allemagne, les deux autres se trouvant en Belgique et en Italie.

Certaines de ces garnisons sont de véritables enclaves, comme la base de Grafenwöhr, en Bavière. Selon son porte-parole, Franz Zeilmann, 35 500 Américains y vivent, dont environ 9 500 soldats. Ce sont de véritables villes miniatures, avec centres commerciaux, écoles à l'américaine, bureaux de poste, et où le dollar est parfois accepté. Leur emplacement, généralement dans des zones peu peuplées, en fait des piliers de l'économie locale.

«Œil pour œil, dent pour dent»

Une nouvelle fois, à Berlin comme à Washington, on s'interroge : pourquoi Trump s'est-il laissé aller à une telle annonce maintenant ? «On peut interpréter cette sortie de multiples manières, commente Sudha David-Wilp, directrice adjointe du German Marshall Fund, think-tank spécialisé dans les relations transatlantiques. Trump peut ainsi chercher à vendre à sa base électorale l'idée qu'il préserve son "America First", et qu'il fait la guerre aux pays membres de l'Otan qui n'en font pas assez, dans la perspective des élections de novembre. Mais on peut également voir cela comme un signal envoyé à Angela Merkel, façon "œil pour œil, dent pour dent", parce qu'il est furieux qu'elle ait décliné son invitation au G7 en juin, organisé aux Etats-Unis et depuis reporté.» Dans tous les cas, «l'ironie de la situation est qu'en réduisant le nombre des soldats en Allemagne, le Président ne fait pas seulement du tort à ses alliés, mais cela pourrait pénaliser les Etats-Unis aussi, dont ces soldats défendent les intérêts en Europe». D'ailleurs, relève-t-elle, «bon nombre de membres de son parti, tout comme l'establishment militaire, sont opposés à cette réduction».

Cette annonce ne va pas améliorer les relations germano-américaines. Alors que l'entente entre Merkel et Obama était particulièrement cordiale – l'ancien président a réservé à la chancelière son dernier coup de téléphone avant de quitter ses fonctions, au nom de leur «amitié personnelle» – la situation s'est profondément dégradée depuis l'arrivée de Trump au pouvoir.

Le président américain ne cesse de vouer l'Allemagne aux gémonies, en des termes généralement tout sauf diplomatiques. Parmi ses récriminations, la question de la participation de l'Allemagne au budget de l'Otan est une antienne – il est vrai que le pays ne respecte pas les 2% du PIB prévus par les traités. «L'Allemagne a des arriérés, ça fait des années qu'elle a des arriérés, elle doit des milliards de dollars à l'Otan et il faut qu'elle paie», a cette semaine déclaré Donald Trump, allant jusqu'à qualifier l'Allemagne de «délinquante». «Ceci dit, nuance Sudha David-Wilp, la participation insuffisante de l'Allemagne au budget de l'Otan était déjà un sujet abordé par Obama, ça n'est pas nouveau. Ce qui l'est, c'est la rhétorique de Trump.»

Le président américain reproche également à l'Allemagne sa participation au gazoduc Nord Stream 2, qui permettrait à la Russie d'approvisionner l'Europe en gaz en passant par la Baltique. Mais ce gazoduc, surnommé «le pipeline de Poutine», ne s'est pas fait que des alliés, puisqu'il est contesté de la Pologne à l'Ukraine et surtout par les Etats-Unis. Lors du sommet de l'Otan de juillet 2018, Trump s'était lancé dans une vive diatribe contre l'Allemagne, l'accusant d'être «complètement contrôlée par la Russie», ajoutant : «Elle paie des milliards de dollars à la Russie pour ses approvisionnements en énergie et nous devons payer pour la protéger contre la Russie. Ce n'est pas juste.» En décembre, Washington a fini par annoncer des sanctions contre les entreprises participant au gazoduc, stoppant le projet à trois mois de la fin des travaux (même si Poutine souhaite toutefois le voir opérationnel au premier trimestre 2021). En somme, cette crise diplomatico-énergétique germano-américaine aux allures de «nouvelle guerre froide», comme le formule le Spiegel, est loin d'être terminée, d'autant que certains politiques allemands réclament désormais des sanctions contre les sanctions américaines…

Résultat, depuis l'élection de Trump, les Allemands sont de plus en plus défiants envers les Etats-Unis, pourtant alliés historiques et fondamentaux de la République fédérale. Une étude commandée par la fondation Köerber en mai montre que 36% des répondants souhaitent désormais resserrer les liens avec la Chine, contre 37% avec les Etats-Unis. Et selon un sondage datant de décembre, 41% des répondants estiment que Trump représente une menace pour la paix mondiale. Soit davantage, selon eux, que Poutine ou Kim Jong-un.

La ministre de la Défense, Annegret Kramp-Karrenbauer, a  résumé la chose à sa manière mardi soir : «Nous vivons actuellement une période quelque peu agitée dans nos relations, avec quelques haussements de voix.» Et, se référant à Voltaire : «La première loi de l'amitié est qu'elle doit être cultivée, la seconde loi est d'être indulgent quand la première a été négligée.»