«A une date inconnue antérieure au 18 juillet 2019, des autorités d'Etat du gouvernement central de la Fédération de Russie ont donné à l'accusé l'ordre de liquider le citoyen géorgien d'origine tchétchène Tornike K. […] L'ordre de le tuer est né de l'opposition de la victime à l'Etat central russe, aux gouvernements de ses républiques autonomes de Tchétchénie et d'Ingouchie et au gouvernement pro-russe de Géorgie.» Ce communiqué du parquet fédéral allemand, accusant la Russie d'être l'instigatrice d'un mystérieux assassinat sur lequel il enquête depuis décembre, et donc, in fine, de terrorisme d'Etat, pourrait compliquer encore davantage les relations germano-russes.
Cette tragique affaire, digne d’un roman d’espionnage, a commencé le 23 août 2019, lorsqu’un ressortissant géorgien, ancien commandant d’une milice tchétchène lors de la deuxième guerre russo-tchétchène, Tornike K. (alias Zelimkhan Khangoshvili), est abattu en plein Berlin. Nous sommes dans un parc du quartier de Moabit appelé le «Petit Tiergarten», au cœur de la capitale allemande, à deux encablures de la Chancellerie. La victime, 40 ans, se rendait à pied à la mosquée pour la prière du vendredi. Il était 11h58. Le suspect, juché sur un vélo de montagne et armé d’un silencieux, a donc agi en pleine journée, devant des touristes éberlués.
Rapidement, le suspect est appréhendé près des lieux du crime. Il s’agit d’un Russe détenant des papiers au nom de Vadim Sokolov, 49 ans. Sauf que ce nom ne figure dans aucune base de données russe.
Quelques mois plus tard, en décembre, le parquet général fédéral, compétent en matière de terrorisme ou d'espionnage, annonce se saisir de l'affaire et évoque, s'agissant du suspect, le nom de Vadim K.. Dans le même temps, le ministère fédéral des Affaires étrangères annonce l'expulsion immédiate de deux diplomates russes. «Par cette mesure, indiquait alors le communiqué de Berlin, le gouvernement fédéral réagit au fait que les autorités russes, malgré des demandes répétées de haut rang et insistantes, n'ont pas suffisamment coopéré à l'enquête.» Considérant cette décision comme «inamicale et sans fondement», Moscou avait affirmé qu'elle ne resterait pas sans conséquences, et en effet, deux diplomates allemands ont par la suite été expulsés de Russie.
La victime, un homme «sanguinaire et brutal» selon Poutine
Aujourd'hui, après des mois d'enquête, le procureur général écrit donc noir sur blanc que l'ordre d'exécution a été donné par la Russie. Selon le communiqué du parquet, Vadim K. s'est envolé de Moscou pour Paris le 17 août 2019, pour se rendre à Varsovie le 20 août. Afin d'entrer dans l'espace Schengen, l'homme a utilisé un passeport portant le pseudonyme de Vadim S., délivré par le service d'immigration de Briansk (Russie), le 18 juillet. Le 22 août, il a quitté son hôtel de la capitale polonaise et s'est mis en route pour Berlin, à six cents kilomètres de là. Le parquet conclut : «Le 23 août 2019, Vadim K. a finalement exécuté l'ordre de l'Etat de tuer à midi.»
Qui était Tornike K. ? Classé par les autorités russes comme «terroriste», et, ajoute le parquet fédéral allemand, «persécuté comme tel», l'homme était décrit par Poutine comme un «sanguinaire et brutal». Tornike K., à qui il était notamment reproché d'appartenir à l'organisation terroriste L'émirat du Caucase, disait craindre pour sa vie. Le 28 mai 2015, il avait essuyé huit coups de feu à Tbilissi, en Géorgie. Il avait déposé une demande d'asile en Allemagne en 2016.
Pour les médias allemands, cette affaire rappelle l'affaire Mykonos, du nom de ce restaurant grec de Berlin où furent assassinés en 1992 quatre membres de l'opposition kurde iranienne. Le parquet avait mis en cause l'Iran dans cette affaire, provoquant une crise diplomatique entre les deux pays. «Le gouvernement fédéral se réserve expressément le droit de prendre d'autres mesures dans cette affaire», a déclaré jeudi le ministre fédéral des Affaires étrangères, Heiko Maas (SPD), en déplacement à Vienne.