«La recherche en Allemagne ? C'est vraiment beaucoup d'argent, surtout pour ceux qui connaissent la subtilité de la langue administrative et n'ont pas peur des nombreux dépôts de candidatures», s'amuse l'historien Etienne François, ancien du CNRS mais aussi de l'Université technique de Berlin, et surtout fondateur et directeur pendant dix ans du Centre Marc-Bloch de recherches franco-allemandes en sciences sociales et humaines, établi à Berlin. Alors qu'en France le projet de loi de programmation pluriannuelle de la recherche (LPPR) alimente depuis l'automne dernier un vif débat, l'Allemagne est régulièrement citée comme un modèle en la matière, vertueux et efficace. Une réputation qu'il faut nuancer. «Il y a toujours un institut ou une fondation qui sont prêts à lâcher quelque chose. En revanche, malgré cette abondance de moyens, les conditions de financement et de travail sont plus précaires qu'en France, précise l'universitaire installé à Berlin. Les périodes de financement n'excèdent jamais trois ans renouvelables une ou deux fois. Et toutes les demandes doivent être approuvées par les professeurs d'université titulaires qui sont les gardiens tout-puissants du système.»
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Investissements des entreprises
Les statistiques officielles les plus récentes affichent un budget global de recherche et développement (R&D) de 104,8 milliards d'euros pour 2018. Soit pas moins de 3,1 % du PIB allemand – au-delà de l'objectif européen fixé à 3% pour 2020. Bien sûr, ce chiffre intègre les investissements des entreprises qui représentent 68,8% de la totalité. «L'organisation de la recherche publique est schématiquement la suivante», détaille Matthias Jaroch, porte-parole de la Fédération des universités allemandes : «Il y a d'une part les universités et écoles supérieures, qui dépendent directement des Länder où elles se trouvent. Puis les réseaux et organisations de recherche extra-universitaires spécialisés, telles la Société Fraunhofer ou la Société Max-Planck, l'équivalent de votre CNRS. Vous trouvez ensuite des instituts publics travaillant pour le gouvernement. C'est par exemple le cas de l'Institut virologique Robert Koch, dépendant du ministère de la Santé et qui informe l'Allemagne tous les jours sur l'évolution de la pandémie. Enfin, il y a des structures et programmes transversaux financés par l'Etat fédéral. La plus grosse, et de loin, est la Fondation pour la Recherche Allemande [Deutsche Forschungsgemeinschaft, ndlr], qui distribue près de 3 milliards d'euros de financement par an. Il y a aussi le programme d'excellence qui distribue des aides supplémentaires aux projets et universités d'élites», achève-t-il.
«Après trois contrats, j'ai craqué»
Bon an mal an, la part de financement pour la recherche publique atteint ainsi un volume de plus de 35 milliards d'euros pour environ 260 000 chercheurs (451 000 sont à l'œuvre dans les entreprises, côté R&D). «Comme je vous le disais, il est difficile de se plaindre sur le volume du financement. En revanche, la vie n'est pas facile pour les jeunes chercheurs et en particulier les femmes désireuses d'avoir une famille», critique Etienne François. Le doctorat s'obtenant en moyenne vers 30 ans et la moyenne d'âge d'accession à un poste de professeur titulaire étant de 41 ans, les jeunes chercheurs rament pendant une dizaine d'années. Stephan Sommer, qui a très mal vécu la différence entre ses espoirs de jeune chercheur brillant et le sentiment d'être parfois le larbin de l'équipe, raconte : «J'ai travaillé pendant neuf ans en biomathématiques à l'Institut Max-Planck. Après trois contrats et un salaire qui n'évoluait pas énormément, j'ai craqué. Je travaille aujourd'hui sur le big data dans le secteur pharmaceutique.»
«Les jeunes n'hésitent pas à partir aux Etats-Unis, en Grande-Bretagne, en Suisse ou même en France, pays où l'on trouve souvent des statuts plus stables, pointe Etienne François. Par ailleurs, le système allemand favorise les étudiants qui font tout pour plaire à leur professeur de tutelle, ce qui n'est pas conforme à l'esprit critique et libre que l'on attend d'un scientifique, et des projets de recherches taillés pour réussir. Or, l'échec est un élément à part entière de la recherche fondamentale.»