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Portrait

A New York, Jamaal Bowman, nouvel espoir de la gauche «AOC»

Le novice en politique affronte ce mardi dans la course au Congrès un baron démocrate. Sur les traces bien à gauche d’Alexandria Ocasio-Cortez.
Le candidat au Congrès Jamaal Bowman dans le Bronx, le 17 juin. (Photo Jeenah Moon. Getty Images. AFP)
publié le 22 juin 2020 à 20h31

Comme Alexandria Ocasio-Cortez il y a deux ans, Jamaal Bowman est un nouveau venu en politique, issu des minorités, qui défend un programme plus à gauche que celui de l’establishment démocrate. Comme Ocasio-Cortez il y a deux ans, Bowman, Afro-Américain de 44 ans, se présente ce mardi à une primaire pour représenter une circonscription new-yorkaise au Congrès et détrôner au passage un vieux baron du Parti démocrate. Le premier mandat de son adversaire, Eliot L. Engel, 73 ans, remonte à 1989. N’eût été le précédent «AOC», nul n’aurait sans doute prêté attention à ce duel. Mais l’argent dépensé dans ces deux campagnes (plus de 2 millions de dollars en cumulé, soit 1,8 million d’euros) comme les grands noms qui les soutiennent sont bien la preuve que rien n’est joué.

En 2018, personne ne pariait sur une victoire d’Alexandria Ocasio-Cortez, aujourd’hui figure incontournable de la politique américaine - adulée par la gauche pour son Green New Deal, son engagement pour l’assurance santé universelle ou ses talents d’interrogatrice sans concession à la Chambre des représentants ; honnie par les conservateurs pour les mêmes raisons -, tant son opposant, Joseph Crowley, semblait indéboulonnable. Le résultat de cette primaire avait alors sonné comme un avertissement pour les élites démocrates, sur l’impatience de la frange gauche de l’électorat et son envie de politiques nettement plus progressistes.

Moustache. L'avenir dira si Bowman connaîtra un sort comparable, face à Engel et ses 16 mandats, pour emporter le 16e district de l'Etat, qui englobe des villes de banlieue au nord de New York. Une circonscription socialement contrastée, entre des quartiers très aisés et d'autres défavorisés, de Riverdale au nord du Bronx, abritant plus de 700 000 personnes. Mais le match de ce mardi illustre à nouveau les tensions idéologiques au sein du Parti démocrate, visibles depuis 2016 et la course à la présidentielle, entre le sénateur du Vermont Bernie Sanders et sa rivale Hillary Clinton.

Les deux adversaires se retrouvent une nouvelle fois dans des camps opposés. Sanders, comme Elizabeth Warren, l’autre sénatrice progressiste et ex-candidate aux primaires démocrates pour 2020, et évidemment AOC, ont apporté leur soutien à Bowman. Clinton, à Engel, comme d’autres incontournables de l’establishment centriste du parti, du gouverneur Andrew Cuomo à la puissante présidente de la Chambre, Nancy Pelosi.

Avec ses lunettes, sa grosse moustache et sa ponctualité revendiquée, Eliot Engel incarne la vieille garde. Ce démocrate modéré, pro-Israël et faucon en politique étrangère, avait voté pour l’intervention militaire en Irak en 2003 et contre l’accord sur le nucléaire iranien en 2015. Comme Jamaal Bowman, il a néanmoins apporté son soutien au Green New Deal d’Ocasio-Cortez, est en faveur de l’assurance santé universelle, d’une réforme de l’immigration, et d’une augmentation des financements pour l’éducation publique ou le logement.

Solidement installé à Washington DC, Engel occupe, depuis la victoire des démocrates aux midterms de 2018, la présidence de la commission des affaires étrangères de la Chambre. A ce titre, il a dirigé les enquêtes sur les liens entre Donald Trump et la Russie, ou le meurtre du journaliste saoudien Jamal Khashoggi, renforçant sa stature sur la scène nationale.

Gaffes. La tâche sera rude pour Jamaal Bowman, puisque ces scrutins favorisent le candidat sortant. Mais Engel a, ces derniers temps, cumulé les gaffes. Au printemps, il a été critiqué pour avoir passé, au plus fort de la pandémie de Covid-19 à New York, deux mois dans sa maison du Maryland. Loin de sa circonscription, qui englobe New Rochelle, le premier épicentre de l'épidémie dans l'Etat. Et début juin, au cours d'une conférence de presse dans le Bronx, organisée dans le sillage des manifestations contre le racisme et les brutalités policières déclenchées par la mort de George Floyd fin mai à Minneapolis, Engel a été filmé à son insu, en train de dire : «Si je n'avais pas de primaire, je m'en ficherais.» Des propos «sortis de leur contexte», affirmera-t-il plus tard à ses détracteurs. «C'est comme avoir une pancarte autour du cou disant "je suis au pouvoir depuis trop longtemps"», a tweeté l'ancien conseiller de Barack Obama David Axelrod, devenu stratège démocrate.

Avec son programme de justice sociale, économique et raciale, la campagne de Bowman semble beaucoup plus dans l'air du temps, face aux bouleversements qui traversent les Etats-Unis et le monde, entre crise du Covid et mouvement historique de colère contre le racisme et les violences policières : «Le coronavirus, et là où nous en sommes aujourd'hui, c'est comme la Grande Dépression et les droits civiques en même temps», déclarait-il début juin au New York Times.

Le quadragénaire a un profil adéquat : enfance passée dans un logement social de New York, carrière dans l'éducation et création d'un collège dans le Bronx, la Cornerstone Academy for Social Action, dont il est le principal. Un parcours qui rend Jamaal Bowman légitime à tacler régulièrement son adversaire : «Il ne vit pas dans notre communauté. Moi, je vis nos luttes.»