Spécialiste de l'Iran et chercheur postdoctorant au Ceri (Sciences-Po), Clément Therme a dirigé l'ouvrage collectif L'Iran et ses rivaux ; entre nation et révolution (Passés composés, février 2020).
Du point de vue de Téhéran, quel est l’intérêt d’une alliance avec le régime de Maduro ?
L'affaiblissement des modérés et des pragmatiques, au pouvoir à Téhéran depuis l'élection du président Rohani en 2013, conduit au retour de l'islamisme tiers-mondiste, dans une surenchère idéologique des principes de l'ayatollah Khomeiny. Avec le Venezuela, il s'agit d'envoyer un message aux Etats-Unis pour répondre sur le plan symbolique et sur le terrain de la propagande. Le Venezuela est de ce point de vue parfait : le pays est dans l'«arrière-cour» de Washington, de la même manière que le Golfe persique, où les Etats-Unis maintiennent une forte présence, est dans l'«arrière-cour» de l'Iran. Téhéran s'autoproclame le droit d'aller dans l'environnement proche des Etats-Unis.
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En temps normal, cette relation n’aurait aucun intérêt sur le plan économique, elle coûte à la République islamique : si les Iraniens avaient le choix, ils vendraient leur pétrole à Total. Mais la politique de pression maximale de l’administration Trump oblige l’Iran à aller vers la Syrie, le Venezuela, la Corée du Nord… Faute d’alternative, l’Iran se tourne vers des partenaires eux-mêmes visés par les sanctions américaines.
Il existe donc une alliance des Etats parias ?
Dès qu’un président modéré sera élu aux Etats-Unis, l’Iran prendra ses distances avec le Venezuela. Le régime de Maduro n’est pas très populaire, beaucoup moins qu’à l’époque de Chavez. Caracas et Téhéran s’entendent justement parce qu’ils sont parias, c’est une sorte de prophétie autoréalisatrice de Washington.
Cette solidarité entre sanctionnés prendrait fin si la stratégie de sanctions était réversible, mais il n'y a pas d'issue sous Donald Trump. Le Guide dénonce souvent «l'apartheid technologique» occidental, que ce soit pour le nucléaire civil, le spatial, l'industrie pétrolière… Les sanctions ciblent les transferts de technologie dans tous ces domaines. Le seul moyen de progresser est donc de nouer des partenariats, au marché noir, avec des Etats parias.
Mais la République islamique s’est toujours réclamée du tiers-mondisme.
Avant la chute du chah, dans les années 70, les mouvements guevaristes ou contre l’apartheid étaient très populaires chez les futurs révolutionnaires. Un anti-impéralisme militant s’est développé chez les islamistes, mais à la différence des tiers-mondistes, ceux-ci penchaient plus vers l’Est que vers l’Ouest.
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Après la chute de l'Union soviétique, l'instinct de survie a repris le dessus : Mahmoud Ahmadinejad suivait les préconisations du FMI, encouragé par une oligarchie d'ayatollahs qui criaient «mort à l'Amérique» le vendredi, avant d'aller à Davos le lendemain… Le régime est devenu libéral par nécessité, surtout qu'il n'y a aucune incompatibilité entre islamisme et capitalisme, pour les Frères musulmans comme pour les mollahs iraniens. La République islamique joue aujourd'hui d'un anti-impérialisme de façade.