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Etats-Unis

Primaires de New York : le progressiste Jamaal Bowman revendique sa victoire

A 44 ans, cet héritier de Sanders et d'Ocasio-Cortez affrontait un baron du Parti démocrate qui visait un 17e mandat.
Jamaal Bowman, mardi. (Eduardo Munoz Alvarez/Photo Eduardo Munoz Alvarez. AP)
publié le 24 juin 2020 à 22h45
(mis à jour le 24 juin 2020 à 23h20)

L'ancienne candidate à la présidentielle Hillary Clinton, le gouverneur de New York Andrew Cuomo, la speaker de la Chambre, Nancy Pelosi, le chef des démocrates au Sénat, Chuck Schumer… Ces figures centristes de l'establishment démocrate s'étaient toutes rangées comme un seul homme derrière la candidature d'un baron du parti, Eliot Engel, seize mandats au compteur et représentant depuis plus de trente ans à la Chambre une circonscription du nord de New York. Sa défaite probable face à son adversaire Jamaal Bowman, un éducateur afro-américain de 44 ans nouveau venu en politique, soutenu par des progressistes de premier plan, de l'élue Alexandria Ocasio-Cortez aux sénateurs Bernie Sanders ou Elizabeth Warren, résonne bien au-delà de sa circonscription.

Elle illustre une nouvelle fois les tensions idéologiques au sein du Parti démocrate, visibles depuis la présidentielle de 2016 et incarnées par le duel Clinton-Sanders. Et sonne comme un désaveu pour les tenants d'une ligne politique centriste, deux ans après la victoire surprise d'Alexandria Ocasio-Cortez dans une circonscription new-yorkaise voisine, à cheval sur le Bronx et le Queens, devenue depuis l'un des visages de la gauche américaine au Congrès. Et déjà, face à un autre cacique du parti, Joseph Crowley, réputé indéboulonnable. «AOC» a d'ailleurs été très largement réélue mardi pour continuer de représenter le 14e district de New York à la Chambre. Malgré la présence d'une rivale en face d'elle, Michelle Caruso-Cabrera, ancienne journaliste de 53 ans enregistrée comme républicaine jusqu'en 2015, financée par des milliardaires de Wall Street (notamment les patrons de Blackstone ou de Goldman Sachs) dans le but assumé de la déloger.

«Causer des problèmes à ceux qui veulent maintenir le statu quo»

Les résultats de la primaire démocrate pour le 16e district de New York, qui s'est tenue mardi, ne sont pas encore officiels : dans cet Etat, le dépouillement des bulletins de vote par correspondance, bien plus nombreux que d'habitude à cause de la pandémie de coronavirus, ne peut commencer qu'une semaine après le jour de l'élection dans l'Etat. Mais selon l'analyste David Wasserman, expert reconnu des prévisions électorales, l'avance de Bowman (61,8% des voix) est trop grande pour qu'Engel (34,9%) le rattrape. Bowman a d'ailleurs revendiqué mercredi sa victoire : «Je suis un home noir élevé par une mère célibataire dans un logement social : d'habitude, cette histoire ne se termine pas au Congrès, a-t-il écrit sur Twitter. Mais aujourd'hui, le garçon de 11 ans qui se faisait battre par la police est sur le point de vous représenter à la Chambre. J'ai bien hâte d'être à Washington et de causer des problèmes à ceux qui veulent maintenir le statu quo. Nous avons gagné, mais ce n'est que le début.»

Dans ce bastion démocrate (le dernier élu républicain remonte aux années 40), qui comprend le nord du Bronx et le comté de Westchester, au nord de la ville de New York, aucun candidat républicain n'est même inscrit pour l'élection générale (mais un candidat du Conservative Party, Patrick McManus, semble toujours en lice). Jamaal Bowman est donc quasi assuré d'être élu représentant à la chambre basse du Congrès, le 3 novembre prochain. Le parcours de Bowman fait mouche, dans un pays en proie à un mouvement historique de colère contre le racisme et les violences policières. Accompagné d'une demande de plus grande représentation raciale, qui s'est ainsi traduite dans les urnes.

Connu dans la circonscription comme le principal de la Cornerstone Academy for Social Action, un collège de bonne réputation qu'il a fondé dans le Bronx, Jamaal Bowman a su séduire les électeurs avec son programme de justice sociale, en pleine crise économique, conséquence de la pandémie de coronavirus. Le 16e district de New York comprend en effet la ville de New Rochelle, qui fut le premier épicentre de l'épidémie dans la région. Sa victoire probable vient valider la stratégie des Justice Democrats, un comité d'action politique créé par des anciens membres de la campagne de Sanders en 2016, qui a soutenu sa campagne : identifier les candidats adéquats pour défier des démocrates centristes dans des circonscriptions acquises au parti, et pousser la Chambre à gauche.

La marche était haute, pourtant : Eliot Engel, solidement installé à Washington DC, occupe, depuis la victoire des démocrates aux midterms de 2018, la présidence de la commission des Affaires étrangères de la Chambre. Mais l’élu a été très critiqué ces derniers mois, notamment pour avoir passé le pire de l’épidémie de Covid-19 planqué dans sa maison du Maryland, loin de sa circonscription pendant deux mois. Pas franchement dans l’air du temps, Eliot Engel s’est aussi fait surprendre par une caméra lors d’une manifestation Black Lives Matter début juin, dans le sillage de la mort de George Floyd tué par un policier blanc à Minneapolis. Sur les images, on le voit s’approcher de la tribune, tout en affirmant que s’il n’y avait pas de primaire, il se ficherait bien d’y prendre la parole.

D’autres résultats de primaires dans l’Etat de New York sont encore attendus. Mais les pronostics confirment une tendance du choix des électeurs pour des candidats issus des minorités et plus progressistes que leurs aînés. Deux scrutins, pour des sièges à la Chambre des représentants occupés par des démocrates qui prennent leur retraite, ont notamment attiré l’attention: l'un pour représenter une partie du Bronx, où Ritchie Torres, élu au conseil municipal de la ville de New York, est en tête. L'autre pour la Hudson Valley, où Mondaire Jones, un avocat diplômé d’Harvard, soutenu par AOC, Sanders et Warren, devance ses six adversaires. L'analyste David Wasserman les donne vainqueurs. S'ils sont élus en novembre, ces candidats, tous les deux âgés de 32 ans, seront les premiers élus noirs ouvertement gays du Congrès des Etats-Unis.