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Libération
Récit

Afghanistan : Donald Trump, pas lu pas pris

La Russie est soupçonnée d’avoir payé, en 2019, des talibans pour tuer des soldats de la coalition emmenée par les Etats-Unis. La Maison Blanche continue d’entretenir le doute sur le niveau d’implication du Président.
Donald Trump en visite à la base aérienne de Bagram, en Afghanistan, le 28 novembre. (Photo Tom Brenner. Reuters)
publié le 1er juillet 2020 à 19h26

La déclaration en dit long sur la nature de l'administration Trump, confrontée à de nouvelles critiques sur l'attentisme supposé du Président, et sa bienveillance envers le Kremlin : «Le Président lit», a assuré mardi Kayleigh McEnany, la porte-parole de la Maison Blanche. Trump est accusé de ne pas lire les notes qui lui sont transmises par les services de renseignement. «Le Président est la personne la mieux informée de la planète Terre concernant les menaces auxquelles nous sommes confrontés», a même ajouté Kayleigh McEnany qui, dès son arrivée à la Maison Blanche en avril, a adopté la rhétorique superlative de son patron.

Selon un article du 26 juin du New York Times, qui cite des sources anonymes du renseignement, la Russie aurait distribué des primes à des talibans pour tuer des soldats américains et britanniques en Afghanistan l'année dernière, alors que les Etats-Unis négociaient un accord avec eux. Des informations transmises dans une note écrite à Donald Trump, fin février. Lors d'une réunion entre agences fédérales, le Conseil de sécurité nationale de la Maison Blanche avait proposé plusieurs options pour y répondre.

Divergences

Soulignant que les renseignements ne faisaient «pas consensus», et qu'il existait des «opinions divergentes» entre agences sur cette affaire, Kayleigh McEnany a affirmé que les allégations «ne remontent pas jusqu'au Président tant qu'elles ne sont pas vérifiées». Un processus contredit par de nombreux experts : «Le consensus n'est pas requis pour les évaluations du renseignement, explique Eric Brewer, lui-même membre du Conseil de sécurité nationale de 2017 à 2018, aujourd'hui directeur adjoint du think tank Center for Strategic and International Studies. L'une des fonctions les plus utiles de la communauté du renseignement est justement d'expliciter sur quel point, et pourquoi, les agences ont des divergences d'analyse.»

Mardi, le New York Times en remettait une couche en révélant l'existence d'importants transferts financiers depuis un compte bancaire contrôlé par les renseignements militaires russes vers un autre, lié aux talibans. Washington a par le passé déjà accusé Moscou de soutenir les talibans, mais cet élément, central, aurait convaincu les renseignements américains de l'existence d'une telle manœuvre. D'autant qu'il confirme des informations obtenues de façon distincte, lors d'interrogatoires de détenus.

La Maison Blanche continue d’entretenir le doute quant à savoir si Trump avait été mis au courant de l’affaire, soulevant des questions sur son degré d’implication dans ces dossiers sensibles. Au risque de mettre en danger les forces déployées en Afghanistan : en 2019, 20 soldats américains y ont été tués, l’année la plus meurtrière depuis 2014 pour l’armée des Etats-Unis.

Alors que les soupçons de collusion entre l'équipe de campagne de Trump et son homologue russe, Vladimir Poutine, empoisonnent sa présidence depuis son arrivée au pouvoir, l'affaire donne du grain à moudre aux élus démocrates du Congrès, à quatre mois de la présidentielle. Ceux-ci ont demandé à la directrice de la CIA, Gina Haspel, et au directeur du renseignement américain, John Ratcliffe, qu'ils informent tous les membres de la Chambre et du Sénat sur ce dossier. Avec Donald Trump, «tous les chemins mènent à Poutine», a dénoncé la présidente démocrate de la Chambre des représentants, Nancy Pelosi.

Briefés à la Maison Blanche mardi, les élus démocrates de la Chambre ont rapporté n'avoir rien appris de nouveau. Il est «incompréhensible» que le chef de l'Etat ne s'engage pas à faire toute la lumière sur cette affaire, ni ne dénonce Poutine, s'est agacé Adam Schiff, le président de la commission de la Chambre sur le renseignement. «Beaucoup d'entre nous ne comprennent pas son affinité pour un dirigeant autocrate qui veut du mal à notre nation», a-t-il ajouté.

L'adversaire de Trump à la présidentielle de novembre, Joe Biden, l'a accusé lundi de «trahir» les troupes américaines, dans un «effort embarrassant de déférence et d'avilissement devant Poutine». Le Kremlin, lui, dément toute implication.

«Répercussions»

Les élus républicains du Sénat, qui ont assisté à d'autres réunions sur le sujet à la Maison Blanche lundi et mardi, ont défendu le Président, maintenant l'argument des divergences au sein des agences américaines. Trump «ne peut pas être mis au courant de chaque élément non vérifié des services de renseignement», a affirmé le sénateur du Wisconsin Ron Johnson. Mais si des Américains sont bel et bien visés, il devra y avoir des «répercussions», a insisté l'élue républicaine du Wyoming Liz Cheney. Le sénateur du Nebraska Ben Sasse, l'une des rares voix républicaines au Congrès à critiquer Trump, a martelé qu'il fallait déterminer qui savait quoi et quand : «Le commander-in-chief était-il au courant ? Et si ce n'est pas le cas, pourquoi diable ?»