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Libération

Dans la foulée de George Floyd, l’Afrique du Sud confrontée au cas Collins Khosa

par Patricia Huon, à Johannesburg
publié le 3 juillet 2020 à 20h16

«Senzeni na ? Sono sethu, ubumyama ?» «Qu'avons-nous fait ? Notre péché est d'être noir ?» Ce chant de deuil et de lutte, dont la plainte s'élevait lors des funérailles sous l'apartheid, n'est pas suranné. Dans une Afrique du Sud confinée, la mort de George Floyd, et l'indignation historique qui l'a suivie sous le slogan «Black Lives Matter», a provoqué une vague d'émotion et de solidarité. Et dans la foulée, de vifs appels à une introspection. Ici aussi, les «vies noires» sont dénigrées, les plus pauvres sont privés de leurs droits fondamentaux, victimes d'un racisme et de discriminations tellement institutionnalisés qu'ils ont été intégrés par des forces de sécurité désormais majoritairement noires, trois décennies après la fin de l'apartheid. La mort de Collins Khosa en est devenue le symbole sud-africain. Comme Floyd, Khosa était un homme noir, quadragénaire, soupçonné d'avoir commis un délit mineur.

Le 11 avril, plusieurs témoins affirment l'avoir vu plaqué au sol, étranglé, à l'intérieur de sa propre maison, dans le township d'Alexandra, à Johannesburg. Des militaires et policiers, qui auraient trouvé une bouteille de bière dans la cour (rien d'illégal : la vente d'alcool était interdite pendant le confinement, mais pas sa consommation à domicile), l'ont ensuite traîné dehors, fracassé contre un mur puis frappé à coups de poing et de crosse de pistolet. Le père de famille est décédé trois heures plus tard, avant que l'ambulance n'arrive, de ce qu'une autopsie qualifiera de «blessure contondante à la tête».

Collins Khosa est l’un des onze Sud-Africains qui sont morts aux mains des forces de sécurité pendant le confinement strict. Victimes de la violence d’Etat au milieu d’une pandémie. L’armée sud-africaine, à l’issue d’une enquête interne, a démenti les allégations selon lesquelles les brutalités des soldats auraient entraîné la mort de Collins Khosa. L’enquête de police est toujours en cours. Et la famille continue de réclamer des poursuites légales. Mais il aura fallu la mort d’un Noir, de l’autre côté de l’Atlantique, pour réveiller l’Afrique du Sud. Le silence qui avait initialement suivi la mort de Collins Khosa, six semaines plus tôt, est un reflet déprimant de l’absence de justice sociale pour tous, qui persiste au pays de Nelson Mandela.