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Balkans

En Croatie, la droite se renforce, l'extrême droite en embuscade

Le parti conservateur HDZ du Premier ministre est sorti en tête des élections législatives. Un succès suffisamment important pour éviter une alliance avec le parti nationaliste et populiste qui s'installe dans le paysage politique.
Le Premier ministre croate Andrej Plenkovic, à l'annonce de sa victoire lors des législatives, à Zagreb, le 5 juillet. (Photo Marko Djurica. Reuters )
publié le 6 juillet 2020 à 15h35

Le relais de la présidence européenne à peine transmis à la chancelière allemande Angela Merkel, Andrej Plenkovic, le Premier ministre conservateur croate s'est tourné vers un autre défi : conserver son siège aux élections législatives qui ont eu lieu ce dimanche. Initialement prévu à l'automne, le scrutin a été avancé sur une décision du Parlement dominé par l'Union démocratique croate (HDZ) de Plenkovic. Avec cette élection anticipée pour prendre de vitesse les effets économiques de l'épidémie de Covid-19, le Premier ministre sortant a gagné son pari. Selon le décompte de 90 % des bulletins, le HDZ a obtenu 68 sièges sur 151 (soit 13 de plus que lors de la dernière mandature), contre 42 seulement pour les sociaux-démocrates.

«La participation a été faible [46,3 %], ce qui favorise toujours le HDZ, relève Loïc Trégourès, chargé d'enseignement à l'université catholique de Lille. C'est le parti de l'indépendance du pays, qui a gouverné dix-sept ans sur vingt, ce qui lui a permis d'établir un large réseau de clientèle.» Le HDZ a aussi réussi à capitaliser sur sa relative bonne gestion de l'épidémie jusqu'ici, et à se faire élire avant une saison estivale où le déclin touristique risque de peser lourd sur une économie qui en dépend pour près de 20 %.

«Le nationalisme est prégnant»

Une fois les circonstances mises de côté, reste l'ampleur des résultats. Avec cette élection, la Croatie penche résolument à droite. Le bon score du HDZ s'est accompagné de celui de Most, un parti de droite traditionaliste (8 sièges), et surtout de celui du Bloc pour la Croatie, le parti nationaliste de l'ancien chanteur Miroslav Skoro (15 sièges). Seule l'entrée au Parlement de Mozemo, un parti vert solidement ancré à gauche, vient éclaircir le tableau. «Le glissement à droite est évident. Il s'était déjà manifesté cet hiver, lors de l'élection présidentielle où Miroslav Skoro avait réuni 24 % des voix, rappelle Loïc Trégourès. Tout cela s'inscrit dans un contexte : la Croatie est un pays âgé, où le nationalisme est prégnant, et où le monde politique continue à entretenir la mémoire de la guerre, qui est payante sur le plan électoral.»

Miroslav Skoro ne se prive pas de jouer sur ce registre anti-serbe, en s'attaquant à la petite minorité serbe de Croatie (4 %), voire en faisant appel aux souvenirs de l'époque oustachie, où pendant la Seconde Guerre mondiale, un Etat fasciste croate s'était émancipé de la Yougoslavie. «Ces manifestations de nostalgie pour la période oustachie sont de plus en plus couvertes par les médias. La conscience collective à ce sujet est en pleine évolution. Il y a dix ou quinze ans, on ne relevait même pas les chants fascistes, ils étaient omniprésents. Aujourd'hui on arrive au moins à en débattre», nuance Tena Prelec, chercheuse associée à la London School of Economics.

«Reculs démocratiques»

Dépeint avant l'élection comme un faiseur de roi, Miroslav Skoro devrait rester cantonné dans son rôle d'agitateur nationaliste anti-serbe. Le HDZ ne bénéficie pas d'une majorité à lui seul, mais il pourrait rallier plusieurs petits partis à sa cause pour former un gouvernement, ce qui éloigne la perspective d'une alliance entre le Bloc pour la Croatie de l'ancien chanteur patriotique. Car si l'homme se présente comme un indépendant venu bousculer le jeu politique, il est longtemps resté proche du parti dominant. «Dès son retour en Croatie après la guerre, qu'il a passé en exil au Canada, Skoro s'est impliqué dans le HDZ, rappelle Tena Prelec. Le parti l'a nommé consul en Hongrie en 1995, et il a même été élu en 2007 au Parlement sous l'étiquette HDZ, avant de démissionner quelques mois plus tard.»

Le maintien de Skoro dans un rôle marginal ne suffira toutefois pas à éviter certaines dérives, prévient Loïc Trégourès. «Depuis l'entrée de la Croatie dans l'UE en 2013, les reculs démocratiques ont été successifs, sur la question des médias, de la corruption, du traitement des migrants… Rien n'indique que le nouveau gouvernement prenne un autre chemin.»