Nommer et punir. Telle est la stratégie du ministre des Affaires étrangères britannique, Dominic Raab. Entre gel des actifs et interdiction d'entrer sur le territoire, les mesures sont rudes pour les 49 personnes et entités énumérées – dont 25 citoyens russes, 20 Saoudiens, deux généraux de la Birmanie et deux organisations nord-coréennes. Ces sanctions sont motivées par leur implication dans de graves abus des droits de l'homme, en particulier dans l'affaire Magnitski (2008-2009) et l'assassinat du journaliste saoudien Jamal Khashoggi dans un consulat à Istanbul, en 2018. «C'est la bonne chose à faire d'un point de vue moral», a déclaré Raab dans une interview au Financial Times.
Magnitski à l’honneur
L'affaire Magnitski porte le nom du juriste et consultant russe mort en prison en 2009, après avoir révélé un schéma de fraude fiscale auquel avaient participé des responsables du gouvernement. Le traitement qu'il a subi en prison et les conditions de sa mort avaient alors provoqué une indignation massive, en Russie et à l'étranger. Comme moyen de pression, et grâce aux efforts incessants de l'homme d'affaires américain et britannique William Browder, propriétaire du fonds d'investissement britannique Hermitage Capital, qui avait employé Sergei Magnitski, les Etats-Unis avaient élaboré la «liste de Magnitski» en 2012, ciblant 18 officiels russes soupçonnés d'êtres liés à la mort du juriste. Mais la riposte ne s'est pas fait attendre : Moscou avait alors émis sa propre liste d'individus «indésirables» dans le pays, promulguant parallèlement une loi interdisant l'adoption d'enfants russes par des Américains. Plusieurs pays ont suivi le modèle de conduite américain et la Cour européenne des droits de l'homme a condamné la Russie en 2019 pour ces faits.
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Parmi les noms russes de la liste noire de Raab figurent entre autres des employés du centre de détention où est décédé Magnitski, des médecins, des membres du Comité d'enquête – y compris son puissant patron, Alexandre Bastrykine – et des juges, comme Alexeï Krivorouchko.
Un combat personnel
Toujours dans le même entretien au FT, Dominic Raab a avoué sa sensibilité personnelle pour l'affaire Magnitski. Lui qui est resté en contact avec la veuve du juriste, Natalia, qualifie Magnitski de «Soljenitsyne de sa génération». Cette liste, c'est l'aboutissement d'un combat qui a commencé il y a plusieurs années.
En poste à La Hague en 2003, Raab était déjà dévoué à la cause des droits de l'homme, s'acharnant à faire comparaître les criminels de guerre devant la justice. En 2012, alors député, il avait lancé une motion appelant le Parlement à réagir à l'affaire Magnitski. Il a poursuivi sa quête de justice et de transparence en 2014, en demandant à la Commission d'information de révéler le nom des 60 personnalités russes impliquées dans l'affaire.
Chamboulement d’alliances
Affranchie des contraintes collectives depuis son retrait de l'Union européenne, le Royaume-Uni émet pour la première fois une sanction unilatérale, et entend désormais s'ériger en défenseur des droits de l'homme partout dans le monde. Mais au-delà de cette intention morale, l'annonce de Raab rebat les cartes diplomatiques. Elle tend encore un peu plus les relations russo-britanniques, déjà fragilisées par l'affaire Skripal. «La Russie se garde le droit de prendre des mesures de rétorsion en lien avec la décision hostile du Royaume-Uni», a indiqué dès lundi soir dans un communiqué l'ambassade russe à Londres. En outre, la présence dans la liste de Saoudiens impliqués dans l'affaire Khashoggi risque de bouleverser une alliance de longue date avec l'Arabie Saoudite.
Le choix de faire passer les questions de droits de l'homme avant la «realpolitik» a été salué par une grande majorité de députés au Parlement. Le chef de la diplomatie britannique a par ailleurs souligné que ces sanctions pourraient être étendues vers les affaires d'oppression des journalistes. Plus question de «tolérer que des criminels passent par les circuits de financement britanniques», a-t-il martelé.
Aucun nom chinois ne figure sur la liste. Sur fond de tensions autour de l'accueil des exilés de Hongkong, cette absence a été relevée par plusieurs députés, qui interrogeaient notamment l'impunité des autorités chinoises pour les crimes commis contre les Ouïghours.