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Interview

Rencontre Trump-Amlo : «Cette visite peut être vue comme un renvoi d’ascenseur»

Gaspard Estrada rappelle que le président mexicain a donné aux milieux économiques des gages de bonnes relations avec les Etats-Unis.
Andres Manuel Lopez Obrador à Mexico, le 17 mars. (Photo Henry Romero. Reuters )
publié le 7 juillet 2020 à 19h31

Spécialiste du Mexique, Gaspard Estrada est directeur exécutif de l’Observatoire politique d’Amérique latine et des Caraïbes (Opalc) à Paris.

L’élection d’un président de gauche au Mexique semblait augurer une rupture dans la relation avec les Etats-Unis. Qu’en a-t-il été ?

Depuis l’arrivée au pouvoir d’Andrés Manuel López Obrador (dit «Amlo»), les relations entre le Mexique et son voisin se placent sous le signe de la continuité, en raison d’un rapport de force très inégal. López Obrador demandait, dès 2006, que l’accord de libre-échange nord-américain (Alena) entre les Etats-Unis, le Mexique et le Canada soit renégocié. C’est Donald Trump qui a finalement imposé une renégociation en 2018, et Amlo a signé.

Un président mexicain peut-il se permettre de mauvaises relations avec les Etats-Unis ?

Non, car les enjeux bilatéraux sont nombreux, qu’ils soient économiques, sécuritaires, migratoires… Avant d’être élu, Amlo a donné des gages, au monde économique en particulier, qu’il n’entrerait pas en conflit avec les Etats-Unis. Les tensions ont d’ailleurs été nombreuses depuis son élection. En 2019, Trump a agité la menace d’une hausse punitive des tarifs douaniers sur les exportations si le Mexique ne menait pas une politique répressive contre les migrants. L’Etat s’est exécuté et a pratiqué des expulsions.

Certains reprochent à Amlo de voler au secours de Trump, en pleine campagne électorale. Qu’en pensez-vous ?

En avril, lors des négociations des pays membres de l’Opep pour réduire la production mondiale de pétrole et stopper la chute des cours, le Mexique a refusé de signer l’accord qui lui imposait une baisse de 300 000 barils par jour. Le pétrole est vital pour le pays dont les recettes fiscales ne représentent que 16 % de son PIB. Curieusement, les Etats-Unis ont pris à leur charge cette baisse que le Mexique refusait d’appliquer. On peut voir dans la visite à Washington un renvoi d’ascenseur, à un moment où Trump est très bas dans les sondages. Les conseillers du candidat démocrate à la Maison Blanche Joe Biden se sont d’ailleurs montrés très critiques.

López Obrador nie pourtant toute portée politique à son déplacement…

Certes, il affirme que sa visite est une façon de remercier les Etats-Unis pour leur aide pendant la crise sanitaire, notamment pour le don de respirateurs. Mais dans ce cas, un voyage n’était pas nécessaire, un coup de fil à Trump aurait suffi. López Obrador ne rencontrera ni Joe Biden ni Nancy Pelosi, la présidente démocrate de la Chambre des représentants. Alors que pendant la campagne électorale de 2012, Biden, qui était candidat à la vice-présidence sur le ticket de Barack Obama, s’était rendu au Mexique et avait rencontré non seulement le président Enrique Peña Nieto mais aussi ses adversaires, Amlo en tête. Sa visite à la Maison Blanche est donc clairement un soutien implicite.

Y a-t-il des précédents de visites aussi polémiques ?

Oui, en 1992, Carlos Salinas de Gortari est allé rencontrer George Bush Sr., candidat à sa réélection. Il a été battu par Bill Clinton, et le Mexique n'est pas sorti renforcé de cet épisode. L'Alena est d'ailleurs entré en vigueur avec deux ans de retard [en 1994, ndlr].

Une telle visite ne peut-elle pas, malgré tout, améliorer la relation entre les deux pays ?

Amlo a montré beaucoup de souplesse face à Donald Trump, alors qu'en 2017, il a publié un livre, Ecoute, Trump, où il prenait la défense des migrants. Une fois élu, il a regardé ailleurs sur ce dossier. Mais le président américain n'a pas abdiqué son discours raciste ni son intention de construire le mur, un contentieux permanent entre les deux pays. S'il est réélu, il risque même de se radicaliser puisqu'il ne sera plus soumis à la pression d'un nouveau scrutin.

Trump reproche au Mexique de ne pas lutter efficacement contre le trafic de drogue vers les Etats-Unis, mais qu’en est-il du trafic d’armes dans l’autre sens ?

C’est en effet un sujet sur lequel les autorités mexicaines devraient montrer davantage de fermeté. Les Etats-Unis se montrent laxistes sur les ventes d’armes à des Mexicains, quand elles ne l’encouragent pas. Il faut rappeler l’opération «Fast and Furious», par laquelle l’administration Obama avait autorisé la vente d’armes à des intermédiaires dans l’espoir de remonter jusqu’aux commanditaires. L’opération a échoué et fourni un arsenal aux cartels de la drogue. Le dernier exemple remonte au 26 juin : lors de la tentative d’assassinat contre Omar García Harfuch, le chef de la police de la ville de Mexico, l’une des armes était un fusil-mitrailleur exclusivement utilisé par l’armée américaine.