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Libération
Disparition

Côte d'Ivoire : «consternation» et «séisme» après la mort du Premier ministre Amadou Gon Coulibaly

Le dauphin désigné du président Alassane Ouattara, qui devait se présenter à la présidentielle d'octobre pour le compte du parti au pouvoir, a succombé après un malaise cardiaque mercredi. Le pays est sous le choc.
Le Premier ministre ivoirien Amadou Gon Coulibaly, à l'aéroport de Bouake le 22 décembre. (Ludovic Marin. AFP)
publié le 9 juillet 2020 à 19h07

Les dizaines de unes agrafées sur de grands panneaux en contreplaqué, imparables vitrines pour les vendeurs de journaux de bord de route en mal de clients, ne laissaient apparaître ce jeudi matin qu’un seul visage, celui d’Amadou Gon Coulibaly. La Côte d’Ivoire est en état de sidération après la mort de son Premier ministre, foudroyé par un malaise cardiaque à l’issue du conseil des ministres mercredi.

«Le Lion s'est couché», titre Fraternité matin, un des grands quotidiens du pays. «Le Lion», surnom donné à «AGC» par les militants de son camp, le Rassemblement des houphouëtistes pour la démocratie et la paix (RHDP, le parti au pouvoir) dont il devait porter les couleurs lors de l'élection présidentielle d'octobre, scrutin crucial mais incertain dont il était un des favoris. Moussa scrute depuis un bon moment toutes ces unes, près d'un carrefour du quartier de Cocody à Abidjan. «J'ai été surpris et triste en apprenant la nouvelle, dit ce jeune comptable, masque en wax sur le menton. Il rentrait à peine, on ne s'y attendait pas.»

Amadou Gon Coulibaly, 61 ans, venait en effet de rentrer en Côte d’Ivoire après deux mois passés en France. Transplanté cardiaque en 2012, il avait été évacué en urgence à Paris le 2 mai malgré la fermeture des frontières en raison de l’épidémie de coronavirus, afin de subir une coronarographie et la pose d’un stent, puis il avait été mis au repos après des complications. Un état de santé qui avait suscité de nombreuses interrogations, jusque dans sa propre famille politique, sur sa capacité à mener la campagne et conduire son camp à la victoire.

Réactions unanimes

Il conservait cependant la confiance absolue de son mentor, le président Alassane Ouattara. Les deux hommes, originaires du nord du pays (Amadou Gon Coulibaly a longtemps été maire de la grande ville de Korhogo), formaient un tandem solide depuis trois décennies. Dans un communiqué, le chef de l'Etat a salué la mémoire de son plus proche collaborateur, son dauphin désigné après avoir annoncé qu'il ne briguerait pas de troisième mandat. «Je rends hommage à mon jeune frère, mon fils», a-t-il écrit, saluant «un exemple de compétence, d'ardeur au travail et d'abnégation». «AGC» devait être formellement investi en août.

Plus tard dans la soirée, les réactions, unanimes, se sont multipliées, y compris dans l'opposition. L'ex-président Henri Konan Bédié, sur le point d'être désigné candidat par son parti, le PDCI, a fait part de sa «consternation» face à la perte de celui qui était «un exemple de loyauté et de fidélité dans le respect de ses convictions politiques». L'ancien allié Guillaume Soro, candidat déclaré, exilé depuis le début de l'année en France et condamné fin avril par la justice ivoirienne à vingt ans de prison, a dit sa «tristesse» et adressé ses condoléances à sa famille et au couple présidentiel. Laurent Gbagbo, depuis la Belgique où il attend la décision de la CPI sur son procès en appel, a rendu hommage à «un frère». De nombreux chefs d'Etat africains ont également présenté leurs condoléances.

«Un séisme»

Mais passé le temps du deuil et du choc de cette disparition brutale, c'est un compte à rebours qui va débuter pour le RHDP, contraint de repenser toute sa stratégie à moins de quatre mois de l'élection dont le premier tour est programmé le 31 octobre. Qui pour prendre la relève d'Amadou Gon Coulibaly, technocratique discret, peu charismatique selon certains observateurs, mais qui avait le soutien entier d'Alassane Ouattara ? Le parti a jusqu'au 1er septembre pour désigner un nouveau candidat, date butoir pour le dépôt des candidatures. «C'est un séisme, ça rebat les cartes au niveau du RHDP et au niveau du pays. On s'attendait à un affrontement entre Gon et Bédié, maintenant il faut trouver quelqu'un d'autre», analyse sur RFI l'éditorialiste Venance Konan. Trois noms reviennent au RHDP, mais sans s'imposer : celui du ministre de la Défense, le populaire et flamboyant mais clivant Hamed Bakayoko qui avait assuré l'intérim d'Amadou Gon Coulibaly lors de son séjour en France, celui du secrétaire général de la Présidence, Patrick Achi, et enfin celui du vice-président Daniel Kablan Duncan. Les cadres du parti se réunissaient à huis clos ce jeudi en fin de journée. Selon les sources citées par l'agence de presse Reuters, ils chercheraient à faire pression sur Alassane Ouattara afin qu'il brigue un troisième mandat, lui qui avait expliqué vouloir tourner la page pour se consacrer à sa famille et à projet d'institut et laisser la place à «une nouvelle génération».