Les effets collatéraux du Covid-19 finiront-ils par devenir plus meurtriers que le virus lui-même ? Pour Oxfam, nous prenons le chemin de ce scénario catastrophe en laissant croître l'insécurité alimentaire. Selon des données du programme alimentaire mondial (PAM) reprises par l'ONG, «121 millions de personnes supplémentaires pourraient être exposées à la famine à cause des répercussions sociales et économiques de la pandémie».
En cause, le chômage de masse, la perturbation des chaînes d'approvisionnement et une réduction de l'aide humanitaire. «Nous faisons face à un type de crise alimentaire jamais vue. Une part importante de la population de certains pays ne pourra plus accéder à l'alimentation parce qu'elle a perdu ses sources de revenus», explique Hélène Botreau, chargée de plaidoyer sur la question de la sécurité alimentaire pour l'ONG. «On produit suffisamment pour nourrir environ 12 milliards d'habitants. Le vrai problème c'est l'accès physique ou monétaire à l'alimentation», rappelle-t-elle.
Dans des pays où la situation était déjà précaire, les mesures prises pour freiner l'épidémie sont porteuses de catastrophes. Au Yémen, 53% de la population souffrait déjà de la faim en 2019. La fermeture des frontières, alors que 90% de la nourriture est importée, et la baisse de 80% des envois de fonds de la diaspora depuis le début de l'année ont encore aggravé le problème. Au Sahel, la fermeture des marchés urbains avec le confinement a eu de lourdes conséquences. Les consommateurs ont vu les prix augmenter, et les agriculteurs n'ont pas eu d'autres choix que de laisser se gâter fruits, légumes et autres produits périssables.
Manque d’aide humanitaire
Pour une dizaine de pays considérés comme particulièrement en danger, comme l'Afghanistan, le Venezuela ou l'Ethiopie, la situation est d'autant plus inquiétante qu'elle risque d'être durable. «Nous avons recueilli des témoignages d'agriculteurs burkinabés, qui ont commencé à consommer leur bétail ou des réserves de grain qui devaient être utilisés comme semences. Cela aura des conséquences à moyen terme sur leur capacité de production», souligne Hélène Botreau.
L'aide humanitaire pourrait en théorie pallier au moins un temps le problème. Mais alors que la pandémie a accru les besoins, les financements s'amenuisent. Selon Oxfam, seulement 9% des fonds requis pour lutter contre l'intensification de l'insécurité alimentaire ont été mobilisés depuis le début de la crise. Si rien ne change, «le nombre de personnes souffrant de la faim à un niveau critique devrait atteindre 270 millions avant la fin de l'année, soit une augmentation de 82% depuis 2019, prévient l'ONG. Avant la fin de l'année, entre 6 000 et 12 000 personnes pourraient mourir de faim chaque jour, soit potentiellement plus que les victimes du virus d'ici fin 2020».
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Les pays déjà en difficulté avant l'apparition du Covid-19 ne sont pas les seuls concernés. Des «foyers de faim» se sont aussi multipliés dans des puissances émergentes bousculées par la pandémie. En Inde, au Brésil et en Afrique du Sud, le ralentissement de l'économie et les mesures de confinement ont touché de plein fouet les travailleurs informels. Privés de leurs revenus et dépourvus de toute protection sociale, ils ont aussi dû faire face à une augmentation du prix des denrées. En Afrique du Sud par exemple, «l'interdiction de la vente alimentaire de rue (dont dépendent quelque 500 000 personnes et qui nourrit 70 % des habitants des bidonvilles) a un terrible impact sur les agriculteurs et sur ce que la population peut acheter et consommer».
Hausse du recours aux banques alimentaires
De manière plus générale, les mécanismes de protection sociale n'ont pas été à la hauteur des enjeux. Au Brésil, «l'aide financière déployée par le gouvernement privilégie les grandes entreprises pourtant mieux armées pour surmonter la crise au détriment des travailleurs et des PME plus vulnérables», note ainsi le rapport. L'aide sociale d'urgence n'est venue que plus tard, et reste balbutiante.
Même les pays les plus développés ne sont pas épargnés par ce retour de l'insécurité alimentaire. «En France aussi, la faim est une réalité qui s'est exacerbée avec le Covid-19, écrit l'ONG. Selon le gouvernement, 8 millions de personnes auront besoin d'ici fin 2020 d'une aide alimentaire, soit 2,5 millions de personnes de plus que l'an dernier». Au Royaume-Uni, 7,7 millions d'adultes (sur une population totale de 65 millions d'habitants) ont été contraints de réduire leurs portions de nourriture ou de sauter des repas pendant le confinement. «C'est alarmant, s'inquiète Hélène Botreau. Ce genre de données est habituellement associé à des pays en voie de développement.»