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Libération

Faute d’espoir, l’exil comme seule issue

Explosions à Beyrouth: la colère des Libanaisdossier
Face à la forte crise économique, de plus en plus de Libanais tentent d’émigrer, malgré les difficultés pour quitter le pays.
Des manifestants, le 11 juin, à Beyrouth. (Photo Myriam Boulos)
publié le 10 juillet 2020 à 20h16

Partir, à tout prix. Sur l'autoroute qui longe la côte en quittant Beyrouth, le drapeau canadien flotte sur une représentation diplomatique ultraprotégée. Sous un soleil de plomb, un couple attend, une liasse de documents en main, d'être introduits par un agent de sécurité à l'intérieur du bâtiment. «Ce sont les pièces manquantes pour ma demande de séjour permanent», explique Joseph, derrière une paire de lunettes noires. «Ce pays est instable et corrompu, je ne veux pas que mes enfants grandissent ici», lâche, excédé, le Libanais de 38 ans. Ce pilote de la Middle East Airline a vu récemment sa paye baisser de 40 %, conséquence de la grave crise économique que traverse le pays. «On ne pensait pas qu'on en arriverait là. Mais cette fois, le Liban est vraiment anéanti», se désole Christie, son épouse, enceinte de sept mois.

Crise acerbe. Tristement habitués aux crises, les Libanais plient de nouveau bagage. Les médecins, notamment, sont sur le départ, observe Ziad (1), un psychiatre. «Les consultations ne valent plus rien, les chirurgiens opèrent pour 20 dollars. On ne peut pas vivre dans ces conditions», fustige-t-il. Ce trentenaire vient de s'inscrire au concours permettant aux praticiens étrangers d'exercer en France, assurant avoir «vu énormément de noms de Libanais sur les listes».

Descendus à l'automne dernier par dizaines de milliers dans la rue, les Libanais avaient alors nourri le rêve de reprendre enfin leur destin en main. Neuf mois après ce sursaut populaire, la fenêtre d'espoir s'est fatalement refermée, la crise, acerbe, ayant relégué au second plan les rêves de changement. «On ne voulait pas partir mais ils nous y ont obligés !» s'indigne Youssef, attablé avec des amis à la terrasse d'un café. Le Libanais de 26 ans s'en va poursuivre un master en marketing digital à Londres à la rentrée. Assise à côté, Cybelle part trouver du travail en Grèce. «Ma famille va avoir besoin de moi, ajoute-t-elle. Ici, il n'y a plus d'avenir.»

Durant la guerre civile (1975-1990), 36 % de la population avait pris le chemin de l’exil. A destination de l’Amérique du Nord, de la France, du Golfe, ou encore de l’Australie, des pays où la diaspora du Cèdre, soit près de 14 millions de personnes à travers le monde, est bien implantée.

Obstacles. Trente ans plus tard, les habitants ne fuient plus les bombardements mais une débâcle financière non moins dévastatrice. Ahmad a tout perdu. Cet homme, qui a commencé à travailler à 13 ans, venait d'ouvrir son salon de coiffure, projet dans lequel il avait investi toutes ses économies, avant que la crise ne vienne laminer son entreprise naissante. Ruiné, il mise sur un beau-frère vivant à Montréal, qu'il a «supplié de l'aider» à s'installer là-bas. «Je suis prêt à vendre ce qu'il me reste, ma voiture, les bijoux de ma femme, pour quitter cet endroit», dit-il, la gorge serrée.

Si beaucoup souhaitent s'en aller, peu en ont les moyens. Les obstacles à l'émigration sont multiples : difficulté d'obtenir des visas, de trouver un travail, mais aussi des devises étrangères, les banques ayant drastiquement limité les retraits de billets. Résultat, même ceux qui disposent d'un passeport étranger - beaucoup de Libanais étant binationaux - se retrouvent coincés. «J'ai un compte en dollars mais je ne peux pas retirer mon argent», fulmine Nicole, une consultante franco-libanaise, qui confie vouloir partir «à contrecœur». «Pour ne pas sacrifier des années de sa vie.»

(1) Les noms ont été changés