Malgré un bilan miné par la dégradation de la situation sécuritaire, le président burkinabè Roch Marc Christian Kaboré doit être officiellement investi, ce samedi, candidat de son parti, le Mouvement du peuple pour le progrès (MPP), pour briguer un nouveau mandat à la présidentielle de novembre. Depuis son accession au pouvoir en 2015, cet ancien proche de Blaise Compaoré peine à enrayer les massacres et attaques terroristes.
En cinq ans, les attaques jihadistes ont fait plus de 1 100 morts et les violences ont contraint près d’un million de personnes à fuir leurs foyers. Initialement actifs au Mali, les groupes armés ont peu à peu élargi leur champ d’action au territoire burkinabè. Après le nord et l’est, c’est désormais les zones frontalières avec la Côte d’Ivoire, la région des Cascades et le sud-ouest qui sont touchés.
Pour preuve, le Burkina Faso est, depuis décembre, entièrement déconseillé aux voyageurs français. Sur la carte du Quai d'Orsay, les dernières traces de jaune, synonyme de «vigilance renforcée», dans le centre du pays et la capitale, ont viré au rouge («formellement déconseillé») et orange («déconseillé sauf raison impérative»). Pour justifier son choix diplomatique, le ministère français des Affaires étrangères explique que le Burkina Faso connaît «une dégradation continue de son contexte sécuritaire et fait face à une recrudescence des attaques terroristes», en particulier depuis le début de l'année 2019.
Spirale infernale
Sur le terrain, certaines zones du territoire sont plutôt qualifiées de «grises», échappant entièrement au contrôle de l'Etat. Ces dernières années, les groupes armés affiliés notamment au Groupe de soutien à l'islam et aux musulmans (GSIM) et à l'Etat islamique dans le Grand Sahara ne cessent de se multiplier. Début juillet, une dizaine de personnes ont été tuées dans deux embuscades dans le centre-nord du pays. «C'est ensemble que nous devons nous battre contre les forces du mal qui s'attaquent aux fondements de notre pays», déclarait il y a quelques jours le président Kaboré sur son compte Twitter.
C'est ensemble que nous devons nous battre contre les forces du mal qui s'attaquent aux fondements de notre pays.#BurkinaFaso #lwili pic.twitter.com/Lw1sE45InU
— Roch KABORE (@rochkaborepf) July 7, 2020
Le chef de l'Etat a-t-il contribué à entraîner son pays, autrefois réputé pour sa stabilité, dans cette spirale infernale ? Pour William Assanvo, chercheur à l'Institut d'études de sécurité et spécialiste de l'Afrique de l'Ouest, «l'incompréhension de la nature de l'insécurité n'a pas permis au régime de pouvoir apporter une réponse appropriée à ce phénomène». «Au départ, de nombreuses thèses pointaient du doigt le régime de Compaoré», souligne-t-il. Ce dernier a été chassé du pouvoir par l'armée en 2014 après vingt-sept ans d'exercice ininterrompu.
Mais d'autres facteurs peuvent expliquer ce triste bilan, en particulier l'instabilité régionale et les facteurs socio-économiques propres au Burkina Faso. «Ansaroul Islam [premier groupe jihadiste burkinabè créé par Malam Ibrahim Dicko, ndlr] est né de la contestation de l'organisation sociale en vigueur dans la province», rappelle par exemple l'International Crisis Group dans un rapport. En prônant l'égalité entre les classes sociales et la fin de la toute-puissance des chefferies coutumières, le groupe a ainsi réussi à réunir de nombreux adeptes dans la province du Soum, majoritairement peuplée de Peuls.
Aujourd'hui, certains groupes sont d'ailleurs réputés pour être composés en grande partie de combattants peuls, alimentant les soupçons de connivence entre la communauté et les groupes jihadistes. Le 8 juillet, l'ONG Human Rights Watch a dénoncé des exactions extrajudiciaires de 180 personnes à Djibo, dans le nord du pays, impliquant des forces armées burkinabè. Selon des témoignages d'habitants, la majorité des victimes étaient des hommes appartenant à l'ethnie peule. De quoi exacerber les violences intercommunautaires dans un pays où le nombre de personnes tuées est passé d'environ 80 en 2016 à plus de 1 800 en 2019, selon l'ONU.
Recrutement de civils
«Ce n'est pas la première fois que les forces de l'ordre sont accusées de graves bavures dans leur lutte contre les jihadistes», rappelle William Assanvo. Début mai, douze personnes – dont la majorité appartenait à l'ethnie peule selon des sources indépendantes – interpellées pour «suspicion de faits de terrorisme» ont été retrouvées mortes dans leurs cellules de détention.
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Sous-équipées et mal entraînées, les forces burkinabè n'arrivent pas à mettre un terme aux violences jihadistes. En décembre, l'Assemblée nationale a ainsi adopté un projet de loi pour le recrutement de civils, appelés «volontaires pour la défense de la patrie» (VDP), afin d'aider les forces de sécurité à mettre fin aux attaques terroristes. Un aveu de l'échec de l'Etat ? S'il est réélu en novembre prochain, Kaboré devra prouver le contraire.