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Pays basque espagnol : les nationalistes favoris à leur succession

Le Pays basque espagnol élit, ce dimanche, son Parlement régional. Iñigo Urkullu, président sortant du gouvernement basque, devrait sans surprise être reconduit, raflant la majorité des sièges grâce à une alliance avec les socialistes.
Iñigo Urkullu, alors président du Parlement basque, à Bilbao, le 3 mai 2018, jour de la dissolution du groupe ETA. (ANDER GILLENEA/Photo Ander Gillenea. AFP)
publié le 12 juillet 2020 à 13h50

Tambour à la main, le txistu (flûte basque typique) aux lèvres, Iñigo Urkullu imprime un rythme dansant avec expérience et maîtrise. La semaine dernière, en campagne électorale, le candidat à sa propre succession ne jouait pas seulement pour la galerie, espérant glaner quelques milliers de suffrages supplémentaires. Celui qui devrait logiquement s'imposer de nouveau, ce dimanche, à la tête du gouvernement régional, au pouvoir depuis 2012, est un Basque pur jus, qui porte la tradition dans le sang. Aspect sérieux, cheveux courts, sympathique mais réservé, Iñigo Urkullu incarne on ne peut mieux le poids du PNV (le Parti nationaliste basque) dont il fut le président entre 2008 et 2012 : un parti-nation, une formation qui, par son hégémonie et sa suprématie, a fini par se confondre avec Euskadi, le Pays basque espagnol qui, ce dimanche, renouvelle son Parlement au même titre que la Galice.

Personne n’a vraiment été surpris d’apprendre que tous les sondages prédisent une ample victoire de la formation d’Iñigo Urkullu. Au bas mot, il devrait rafler une bonne trentaine (28 aujourd’hui) des 75 sièges de l’hémicycle basque, et pourrait sans difficulté continuer de gouverner en alliance avec les socialistes. Le très réservé et prudent Iñigo Urkullu est bien le seul à manifester une certaine appréhension et des doutes. Cela fait partie de son caractère, mais aussi de l’ADN de cette formation omniprésente qui gouverne les trois sous-régions basques (Biscaye, Guipuzkoa et Alava) et une confortable majorité des municipalités, dont les trois principales, Vitoria, Saint-Sébastien et Bilbao.

«Une hydre à plusieurs têtes»

«Le PNV, c'est un peu le péronisme historique en Argentine ou le Parti du Congrès en Inde, confie l'analyste Antonio Elorza. Il contrôle à peu près tous les leviers, il est impossible de lui échapper, tous les chemins y mènent et, surtout, il s'est imposé avec le temps comme le totem identificateur par excellence.» Le Parti nationaliste basque mange à tous les râteliers : conservateur, mais aussi démocrate-chrétien et social démocrate au besoin. Il se montre libéral, s'oppose à la hausse des impôts proposés par le socialiste Pedro Sánchez pour conjurer les effets du Covid-19, défend fermement le dynamisme entrepreneurial et se méfie de l'interventionnisme étatique.

Mais parallèlement, (grâce, en bonne partie, au «concert économique», un privilège fiscal lui donnant les coudées franches et un généreux excédent budgétaire), il se fend d'une politique sociale active, par exemple en ayant mis en place dès 1989 un «revenu minimum d'insertion». Initiative que les socialistes au pouvoir viennent tout juste d'approuver à l'échelle espagnole. «Le PNV, c'est une hydre à plusieurs têtes avec une grande puissance symbolique», poursuit Antonio Elorza. Car, fondé en 1895 par un idéologue, Sabino Arana, acquis à l'idée de supériorité raciale basque et à l'infériorité des Espagnols, le parti est avant tout un symbole du nationalisme. Avec ses rituels (comme l'Aberri Eguna, le «jour de la patrie basque»), ses clubs sociaux (les batzokis, présents sur tout le territoire basque), ses lieux sacrés (l'Arbre de Guernica), sa mystique et ses chants patriotiques.

«Un pacte avec Madrid»

Au cours de son histoire récente, le PNV n'a cessé d'osciller entre deux pôles. «Le parti a deux âmes, une plus radicale et souverainiste, l'autre modérée et très pragmatique», résume Santiago de Pablo, l'un des meilleurs connaisseurs de la question. Dans les années 90 et 2000, c'est le premier pôle qui prenait le dessus : c'étaient les années de plomb marquées par les attentats d'ETA. Ses dirigeants entretenaient une ambiguïté quant à son adhésion au séparatisme radical et intolérant professé par les pistoleros. Depuis, incarné par Iñigo Urkullu, c'est l'autre pôle qui prédomine nettement. Pour le PNV, qui dénonce toute forme de sectarisme, pas question de s'allier politiquement avec les héritiers d'ETA du parti Sortu, deuxième force parlementaire régionale.

«Même si ETA a disparu [l'organisation s'est dissoute en 2018, ndlr], des actes intolérants des jeunesses radicales, animées par la haine, perdurent. Et cela, nous ne l'acceptons pas», a déclaré le président du PNV, Andoni Ortuzar. Pragmatique, le parti nationaliste est aussi devenu l'allié indispensable, à Madrid, du fragile gouvernement de Pedro Sánchez. Durant la pandémie, il lui a permis en effet d'approuver l'état d'urgence face aux vociférations de la droite. Quid des rêves souverainistes du PNV ? Le parti n'y renonce pas. La semaine dernière, Iñigo Urkullu rappelait son souhait d'un nouveau statut d'autonomie basque incluant la reconnaissance d'une «nation basque à part entière» et le droit à l'autodétermination. Mais, à la différence de la Catalogne, où les dirigeants séparatistes continuent de parier pour la voie unilatérale, le PNV défend «un pacte préalable avec Madrid». Le pôle pragmatique domine plus que jamais, et cela réussit aux nationalistes basques.