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Libération
Boycott

Pour les latinos anti-Trump, c'est la fin des haricots (en conserve)

Une campagne de boycott est lancée contre Goya, le numéro 1 des produits alimentaires destinés aux hispaniques des Etats-Unis. Motif: le PDG de la marque a couvert d'éloges le président américain.
Alexandria Ocasio-Cortez, en campagne dans le Bronx, le 23 juin. (STEPHANIE KEITH/Stephanie Keith. Getty. AFP)
publié le 13 juillet 2020 à 19h46

C'est décidé, Alexandria Ocasio-Cortez fera désormais son propre adobo, elle a même précisé sur Twitter s'être mise en quête de recettes maison sur le Net. Jusqu'à présent, l'élue de New York à la Chambre des représentants, star montante de la gauche du parti démocrate, faisait comme la grande majorité des latinos des Etats-Unis : elle achetait la préparation en poudre de la marque Goya Foods pour réaliser la marinade (adobo) qui assaisonne la cuisine des Portoricains et de leurs descendants : viandes, poisson, volaille…

La raison n'est pas un retour aux valeurs traditionnelles et aux recettes de l'abuela (la grand-mère), mais la réaction aux déclarations du président de Goya Foods, Robert Unanue, jeudi dernier dans la roseraie de la Maison Blanche, où il était invité au lendemain de la réception du président du Mexique Andrés Manuel López Obrador. «Nous sommes vraiment bénis d'avoir un dirigeant tel que Donald Trump, qui est un formidable bâtisseur», s'est exclamé l'homme d'affaires, à la tête du numéro 1 des produits alimentaires à destination des communautés hispanophones.

#Goyaway

La déclaration d’amour n’a pas été du goût de nombreux consommateurs de la marque, qui n’ont toujours pas avalé, même avec l’assaisonnement Goya, les injures répétées de Trump envers les Mexicains, «violeurs», «sales types», ou son qualificatif de «pays de merde» («shithole countries») adressé en 2018 aux Etats d’origine des migrants. Sous les mots dièses #BoycottGoya ou #Goyaway (jeu de mots avec «go away», dégage), les appels à bouder les produits du fabricant se sont multipliés. Outre Alexandria Ocasio-Cortez (dite AOC), le médiatique cuisinier José Andrés, d’origine espagnole, ou le chanteur et compositeur portoricain Lin-Manuel Miranda, ont relayé le mot d’ordre.

Loin de présenter des excuses pour ses propos, le patron de Goya a souligné qu’il se trouvait à la Maison Blanche pour annoncer le don de plusieurs millions de produits Goya aux banques alimentaires du pays. Dont un million de boîtes de pois chiches. Et qu’il avait auparavant soutenu les efforts de l’ex-première dame Michelle Obama dans sa croisade contre la malbouffe dans les cantines scolaires. Ce programme humanitaire s’inscrit dans la «Hispanic Prosperity Initiative», le plan de Donald Trump pour améliorer le niveau de vie des Latinos à travers des projets philanthropiques, et tenter par la même occasion d’attirer leur vote pour l’élection présidentielle du 3 novembre.

Nostalgie pour les produits du terroir

L’ampleur prise par l’affaire s’explique par le rapport affectif qu’entretiennent les communautés latines avec leur héritage culinaire, et le rôle qu’a joué historiquement Goya dans le maintien du lien avec les pays d’origine. L’entreprise a été créée en 1936 par un immigrant espagnol, Prudencio Unanue, parti de son village de la province de Burgos tenter sa chance en Amérique. Devenu épicier à Manhattan, il avait constaté la nostalgie de sa clientèle pour les produits du terroir, comme l’huile d’olive, introuvables à New York. Peu à peu, il met en place des filières d’importation d’aliments d’Espagne, du Mexique ou de Porto Rico. La création de sa propre marque est l’étape suivante de son développement.

Quand Joseph Unanue prend le relais de son père épicier, il fait de Goya, basée dans le New Jersey, une entreprise prospère, à laquelle les vagues d'immigration apportent une clientèle grandissante. Leur gamme compte des centaines de produits, dont le plus emblématique de tous : les haricots rouges ou noirs. Et tout latino connaît le slogan publicitaire «Si c'est Goya, c'est forcément bon». En 2004, le petit-fils, nommé lui aussi Joseph Unanue, prend les commandes et se lance à la conquête des consommateurs anglophones, en plein boom des cuisines exotiques. «Nous ne vendons pas aux latinos, nous vendons en tant que latinos», explique-t-il. Aujourd'hui, Goya affiche un chiffre d'affaires estimé à 1,5 milliard de dollars et emploie 4 000 personnes. C'est la plus grande entreprise des Etats-Unis dont le capital est aux mains d'une même famille.

Des partisans du boycott ont cru utile de conseiller aux consommateurs des alternatives aux produits Goya, notamment les marques Badia et Conchita. Ce n’est pas forcément une bonne idée. Ces deux entreprises ont été fondées par des exilés cubains ayant fui le régime communisme de Fidel Castro, qui avait exproprié et nationalisé la quasi-totalité du secteur économique privé. Pas vraiment le profil d’opposants au président républicain candidat à la réélection. Le siège de Badia, spécialisé dans les épices et condiments, se trouve d’ailleurs à Doral, en Floride, l’une des villes les plus «Trump-friendly» des Etats-Unis : c’est là que le Président a construit son luxueux complexe de golf et de loisirs, le Trump National Doral Miami Resort.