La Pologne a fait le choix de la «révolution conservatrice» : le président sortant, Andrzej Duda, vient d'être réélu avec 51,2% des voix. Des résultats quasi définitifs, annoncés tôt lundi matin, qui ont douché les espoirs des libéraux. Ils espéraient encore une victoire de Rafal Trzaskowski, alors que les sondages de sorties des urnes, dans la nuit de dimanche à lundi, donnaient encore les deux candidats au coude à coude. La défaite du maire de Varsovie, avec 48,8% des suffrages, ne fait plus de doute. Malgré un scrutin organisé de manière chaotique et en bafouant la Constitution.
Le parti ultraconservateur Droit et Justice (PiS) a désormais les mains libres pour poursuivre ses réformes, au moins jusqu'aux prochaines élections locales et parlementaires de 2023. Mais ce résultat est une victoire en demi-teinte pour Andrzej Duda, alors qu'il y a quelques mois, il était assuré d'être réélu dès le premier tour. Fidèle à son image, le président sortant a choisi une petite ville au nord de Varsovie, Pultusk, pour l'annonce des résultats, avec une ambiance très familiale, stands de saucisses et chants traditionnels. Après une campagne violente et clivante, Andrzej Duda a adressé aux Polonais un message rassembleur : «Je m'excuse auprès de ceux qui se sont sentis offensés, pas seulement durant la campagne, mais au cours de ces cinq dernières années.» Dès son retour à Varsovie, quelques heures plus tard, il a affirmé exactement le contraire : «Je ne regrette pas ce que j'ai dit pendant la campagne.»
«La société civile s’est réveillée»
Depuis son élection surprise en 2015, qui a amorcé un tournant illibéral en Pologne, le Président est l'homme politique auquel les Polonais font le plus confiance. Il a à son actif un très bon bilan social, qui a semblé convaincre : allocations familiales, revalorisation des retraites, pas d'impôts sur les revenus pour les moins de 26 ans. Le maire de Varsovie, Rafal Trzaskowski considéré comme le candidat des élites, en avait pris conscience. Dans son programme, il a promis de les conserver, alors que son parti, la libérale Plateforme civique (PO), s'y était toujours opposé.
Dimanche soir, depuis le parc des Fontaines, dans le centre de Varsovie, Rafal Trzaskowski a déclaré à ses supporteurs : «Les Polonaises et Polonais ont créé un espoir. Pour une Pologne plus ouverte, plus tolérante mais aussi plus européenne. Et nous continuerons à aller dans ce sens, je vous le promets. Mais je suis convaincu que nous gagnerons car nous avons déjà gagné. La société civile s'est réveillée. On s'est tous réveillé !» Rafal Trzaskowski devrait s'imposer comme le visage de l'opposition libérale, qui peine depuis plusieurs années à se trouver un candidat crédible. Il n'était pourtant pas le premier choix, et ne s'est pas toujours aligné sur la ligne de son parti.
Si la différence entre les deux candidats est très faible au niveau national, avec moins de 500 000 voix d'écart, les résultats montrent une profonde fracture générationnelle, géographique et économique en Pologne. Andrzej Duda domine largement chez les plus de 60 ans, dans les petites villes et les villages, et dans l'est de la Pologne. Les jeunes, les citadins, et les Polonais de l'étranger ont massivement voté pour Rafal Trzaskowski.
Gardien des intérêts du PiS
Preuve de l'importance du scrutin, le taux de participation, pour ce deuxième tour, a pulvérisé tous les records depuis 1989, à l'exception de celle de 1995, qui avait vu Lech Walesa perdre de peu face à Aleksander Kwaśniewski. En plein mois de juillet, cette ruée vers les urnes s'explique par la possibilité de voter sur son lieu de vacances. A Chalupy, une station balnéaire célèbre pour sa plage nudiste, des dizaines de personnes faisaient la queue sur le trottoir, avant la fermeture du bureau de vote. Dans certaines communes touristiques, les assesseurs ont dû faire venir des bulletins de vote à la dernière minute.
Aidé par la télévision publique, devenue un outil de propagande, Andrzej Duda avait opéré un tournant très à droite ces dernières semaines, tenant des propos homophobes et antisémites, se voulant le protecteur des valeurs conservatrices et catholiques des «vrais Polonais», pour lesquels il s'est excusé dimanche soir. Considéré comme la marionnette du chef du PiS, Jaroslaw Kaczynski, le Président dispose d'un atout précieux : son veto. Mais, en cinq années de mandat, Andrzej Duda ne l'a presque jamais utilisé, devenant le gardien des intérêts du PiS, même quand les lois votées étaient contraires à la Constitution. Mise sous tutelle du système judiciaire, de l'audiovisuel public, remise en question des droits des femmes… Ces réformes controversées n'ont pas manqué de provoquer des conflits entre Bruxelles et Varsovie. La Pologne devrait tourner encore un peu plus le dos à l'Union européenne.