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Libération
Récit

En Syrie, des législatives pour la forme

Le scrutin de dimanche, où il n'y aura, comme d'habitude, pas de candidats d'opposition, devrait renforcer le régime, dans un pays ravagé par la guerre et la crise économique.
Des affiches électorales à Alep, le 15 juillet. (-/Photo AFP)
publié le 18 juillet 2020 à 17h26

Le scrutin est joué d'avance, ou presque. Dimanche, les Syriens sont appelés aux urnes pour élire quelque 250 députés lors des élections législatives, les troisièmes depuis le début de la guerre, qui coïncident avec les vingt ans de règne sans partage de Bachar al-Assad. Plus de 2 000 candidats sont en lice, dont des individus visés par la loi César, adoptée le mois dernier par le Congrès américain et prévoyant de nouvelles sanctions contre le régime de Damas.

Le parti Baas, au pouvoir depuis un demi-siècle, remporte généralement haut la main ces élections, organisées tous les quatre ans. Celles de dimanche ne devraient pas déroger à la règle, tant les scrutins ne sont «ni libres ni transparents» en Syrie, selon Thomas Pierret, chercheur au CNRS et spécialiste du Moyen-Orient.

Resserrement du régime

Les législatives devraient donc une nouvelle fois se solder par une large victoire du parti, qui pourrait même en sortir un peu plus renforcé. «Avant le début du conflit, ce scrutin était une manière pour le régime d'élargir son assise, en incluant des hommes d'affaires ou des chefs religieux au Parlement, composé aux deux tiers par le parti Baas. Depuis 2011, on assiste à un resserrement du régime à cause des crises qu'il traverse, avec une Assemblée qui vise à récompenser les plus fidèles parmi les fidèles pour éviter des défections qui pourraient être coûteuses», analyse le spécialiste.  Et la présence de bureaux de vote dans d'anciens bastions de la rébellion, en particulier dans la Ghouta orientale et la province d'Idlib, ne devrait pas peser dans la balance : les candidats d'opposition n'existent pas en Syrie.

Dans un contexte où Bachar al-Assad a presque gagné la guerre mais semble loin d'avoir remporté la paix, le chef de l'Etat devra toutefois faire face à de nouveaux défis qu'il aura bien du mal à résoudre par la force.

Une crise économique sans précédent

Cette année, les propositions sécuritaires se sont substituées aux questions économiques et sociales sur la plupart des programmes des candidats. Après neuf ans de guerre dévastatrice, la Syrie est confrontée à une crise économique inédite, aggravée par une forte dépréciation de sa monnaie et les mesures punitives des Etats-Unis. En un an, les prix des denrées alimentaires de première nécessité comme le riz, la farine ou le café ont explosé, dans un pays où plus de 80 % de la population vit dans la pauvreté, selon le Programme alimentaire mondial de l'ONU. Et la crise du Covid-19 est venue étrangler un peu plus une économie déjà au bord du gouffre : le PIB, estimé en 2019 à seulement un tiers de ce qu'il était avant le début de la guerre, sera encore plus bas cette année.

Fin avril, le climat de confiance économique avait déjà été altéré par la disgrâce inattendue de Rami Makhlouf, influent cousin du chef de l'Etat, qui avait mis en lumière l'ampleur de la corruption du régime et les dissensions au sein du clan Assad.

Face à la dégradation des conditions de vie, plusieurs journées de manifestations hostiles au régime ont eu lieu le mois dernier à Soueida, dans le sud du pays, malgré les risques de représailles des forces de sécurité qui n'ont jamais hésité à réprimer dans le sang la population. Le mouvement de contestation a sonné, pour certains observateurs, comme un avertissement à Assad, dans une région majoritairement composée de Druzes, qui avaient misé sur la neutralité depuis le début du conflit.

Malgré cette crise protéiforme, le régime d'Assad n'est pas près de toucher à sa fin, selon Thomas Pierret : «Il ne tient pas grâce au soutien de la population mais parce qu'il a massacré assez de monde et qu'il bénéficie toujours du soutien de l'Iran et la Russie», les deux alliés auxquels il doit sa survie.