Chef de file des pays de l’Union européenne autoproclamés «frugaux» (Pays-Bas, Danemark, Suède et Autriche), le Premier ministre néerlandais Mark Rutte n’aura eu de cesse de mener les discussions européennes à la baguette. «J’estime que les chances de parvenir à un accord ce week-end sont inférieures à 50 %. Le contenu est plus important que la vitesse», a-t-il annoncé dès vendredi, à peine arrivé à Bruxelles, avant que ne débute un Conseil européen sous haute tension. D’où vient cette obstination du Premier ministre néerlandais pour une politique européenne si stricte et dont la place pour le compromis aura été proche de zéro ? Retour sur le passé d’un homme qui mène une vie sobre et discrète doublée d’une carrière brillante.
Loin des tabloïds
Féru de politique dès le plus jeune âge, Mark Rutte pianotait sur les bancs de l’université de Leiden lorsqu’il était en licence d’histoire. Il se rêvait alors en pianiste virtuose. A 53 ans, il en est à sa troisième législature de Premier ministre, et ce depuis sa première élection par le Parlement en octobre 2010. Il rejoint le Parti populaire pour la liberté et la démocratie (VVD) en tant que président de la section jeunesse, le JOVD, de 1988 à 1991. Jusqu’en 2002, il sera directeur des ressources humaines chez la multinationale Unilever.
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Débute ensuite une carrière au gouvernement, lorsqu'il devient secrétaire d'Etat aux Affaires sociales. Il arrache contre son adversaire Rita Verdonk la tête de liste du VVD pour les législatives de 2006, mais échoue à prendre la tête du gouvernement. Ce sera chose faite en 2010. Il a depuis réussi le pari de s'entendre avec des coalitions différentes au gouvernement lors de chacun de ses mandats. «Rutte a été assimilé au cours de sa carrière à un caméléon. Chaque coalition était dissemblable. En 2010, il a associé l'extrême droite et les chrétiens-démocrates, il avait une politique plutôt antieuropéenne, puis il a intégré les sociaux-démocrates au gouvernement», analyse l'historien politique Felix Klos. Le gouvernement actuel est un mélange de centristes proeuropéens (les Démocrates 66), de chrétiens-démocrates (l'Appel chrétien-démocrate, CDA), et d'une formation protestante (l'Union chrétienne, CU). «Pour gouverner une telle coalition, Mark Rutte a dû s'adapter à toute la classe politique néerlandaise», poursuit l'historien, comme le nécessite un régime parlementaire à scrutin proportionnel. Malléable donc, mais pas que.
Célibataire endurci, le Premier ministre n'a ni femme ni enfants. Loin des tabloïds, sa vie privée est tenue secrète. Ce qui lui vaut une popularité constante. Rutte se rend au travail à vélo et nettoie s'il renverse son café en salle de réunion. Tous les vendredis, il va enseigner l'histoire dans des lycées. En somme, il incarne l'homme néerlandais exemplaire… Libéral, Rutte s'entête à vouloir imposer sa vision aux «cigales» européennes du Sud, à l'image de ce qu'il impose à son pays. Une politique interne qui n'a rencontré que très peu de contestations, même lors de sa réforme sur les fonds de pension, où l'âge légal est passé de 65 à 67 ans à l'horizon 2022. Certes des désaccords subsistent au Parlement, mais les décisions de Rutte obtiennent souvent l'unanimité car il fait figure de bon gestionnaire.
«Drastique»
«C'est le Premier Ministre le plus constant que nous ayons eu», affirme Bas Eickhout député européen vert. «Brillant», disent de lui ses pairs. «Il a une mémoire exceptionnelle», confirme un ancien membre du Sénat qui avait pour habitude de le côtoyer. Et d'ajouter : «Rutte n'oublie jamais un visage. A chaque fois que je l'ai croisé, il me demandait comment allait mon frère, qu'il n'avait vu qu'une fois.» Tous disent de lui la facilité avec laquelle le Premier ministre néerlandais «s'accorde toujours avec la majorité». Selon un sondage du média Politico, ce sont 52 % des Néerlandais qui n'approuvent pas l'idée d'une dette mutuelle des Vingt-Sept. «Sa diplomatie drastique et austère envers l'aide européenne n'est pas une surprise dans un pays où le budget importe autant, relève Eickhout. Il compte sur une popularité prépondérante pour briguer un quatrième mandat en mars 2021.»