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Libération
Chine

En première ligne sur le sort des Ouïghours, les Etats-Unis passent à la sanction

Alors que les puissances occidentales gardent un silence assourdissant, l’administration Trump a durci le ton face à Pékin, sur fond de tensions liées à la crise du coronavirus.
Un rassemblement de soutien aux Ouïghours aux abords de la Maison Blanche, le 3 juillet à Washington. Photo Leah Millis. Reuters ( Photo Leah Millis. Reuters)
publié le 20 juillet 2020 à 20h41

«Graves atteintes aux droits humains», «abus horribles et systématiques», «effroyables pratiques», «tache du siècle». L'administration Trump, notamment son secrétaire d'Etat, Mike Pompeo, se sont ces derniers jours distingués du reste du monde occidental dans la rhétorique, et dans les actes, pour condamner le traitement des Ouïghours et d'autres minorités musulmanes par Pékin. Les Etats-Unis ont infligé le 9 juillet des sanctions inédites à l'encontre de plusieurs dirigeants chinois, dont Chen Quanguo, considéré comme l'architecte de la politique sécuritaire de Pékin au Xinjiang. Après les révélations sur le programme de stérilisation forcée, Mike Pompeo a dénoncé le «mépris absolu du Parti communiste chinois envers le caractère sacré de la vie et de la dignité humaine».

Le président Donald Trump avait promulgué le 17 juin le Uyghur Human Rights Policy Act, une loi bipartisane votée par le Congrès en mai, qui oblige notamment la Direction du renseignement national à rapporter au Congrès toute violation des droits de l’homme commises par le Parti communiste chinois et le gouvernement contre les Ouïghours au Xinjiang, et le département d’Etat à prendre des sanctions contre les officiels qui en sont responsables.

Boussole morale

En représailles, la Chine a pris le 13 juillet des mesures de rétorsion contre un haut responsable du département d'Etat et trois parlementaires républicains parmi les plus critiques du régime. «Ils ont mis plus d'un million d'Ouïghours dans des camps de concentration et se sont livrés à un nettoyage ethnique, y compris en pratiquant d'horribles avortements et stérilisations forcés», a répondu l'un d'eux, le sénateur Ted Cruz, dans un communiqué.

Au chapitre des mots, c'est la Commission des Etats-Unis sur la liberté religieuse internationale (USCIRF), une commission fédérale bipartisane, qui est allée le plus loin, qualifiant les actions de Pékin au Xinjiang de «politiques génocidaires contre le peuple ouïghour» et de «crimes contre l'humanité». Pour l'USCIRF, la campagne de stérilisation forcée «pourrait consituer un motif légal de génocide», selon les termes de la convention des Nations unies.

Si, au milieu des autres puissances occidentales apathiques, les Etats-Unis se retrouvent en pointe dans la dénonciation des actions de Pékin, sur les Ouïghours comme sur Hongkong, la boussole morale de l’administration Trump ne fonctionne pas franchement à tous les coups. Le président américain a toujours gardé une approche sélective quant à ses condamnations de pays violant les droits de l’homme : imposant des sanctions à ceux qu’il cherche à intimider - l’Iran, le Venezuela -, fermant les yeux sur les atteintes de ses alliés, comme l’Arabie Saoudite. Ou maintenant une priorité transactionnelle : en pleine discussion d’un accord sur le nucléaire avec la Corée du Nord, Trump avait tout simplement cessé de critiquer Pyongyang.

Les condamnations contre la Chine interviennent d’ailleurs dans le cadre d’une escalade de tensions qui dépasse très largement la question ouïghoure. Trump avait d’abord loué les efforts de Xi Jinping pour sa gestion du coronavirus, après avoir signé, en janvier à Washington, la première phase d’un accord commercial. Mais devant une pandémie incontrôlable aux Etats-Unis - plus de 140 000 morts -, et alors que l’échéance de l’élection de novembre se rapproche, Donald Trump a fait de Pékin le responsable tout trouvé de la catastrophe épidémique et économique sur le sol américain. Et c’est en parallèle à ce changement de cap que l’administration a durci le ton sur la problématique ouïghoure.

«Faites en sorte que je gagne»

Dans une interview donnée à Axios le 9 juillet, le président américain reconnaissait sans ciller avoir résisté à sanctionner Pékin pour ses camps d'internement massif des minorités du Xinjiang, dans le but de ne pas compromettre les négociations sur l'accord commercial avec la Chine, qu'il juge essentiel pour sa réélection. «Nous étions en plein milieu [des pourparlers] pour un accord commercial majeur», s'est-il justifié, interrogé sur un plan du département du Trésor fin 2018, qui prévoyait d'imposer des sanctions à des officiels chinois liés à la répression des Ouïghours, resté lettre morte. «Lorsque vous êtes en plein milieu de négociations et d'un coup, vous commencez à imposer des sanctions additionnelles… Nous avions déjà fait beaucoup, a-t-il affirmé. J'ai mis des barrières douanières sur la Chine, ce qui est bien pire que n'importe quelle sanction.»

Une déclaration qui est venue confirmer les allégations de John Bolton, l'ancien conseiller à la sécurité nationale de Trump, publiées dans un livre explosif fin juin. En décembre 2018, écrit-il, le président américain s'était étonné que des membres de son administration cherchent à imposer des sanctions à des responsables chinois pour leur traitement des Ouïghours. Trump n'aurait pas approuvé l'idée, et la question n'aurait pas du tout été abordée pendant toute la durée des négociations. Lors d'une réunion bilatérale avec Xi Jinping, en marge du G20 à Osaka en juin 2019, Donald Trump aurait orienté la conversation vers la prochaine élection présidentielle. «Faites en sorte que je gagne», aurait-il lancé à son homologue chinois, lui suggérant d'augmenter ses achats de blé et de soja auprès des agriculteurs du Midwest. Xi Jinping aurait ensuite expliqué à Donald Trump «pourquoi il construisait des camps de concentration dans le Xinjiang», poursuit Bolton. Trump aurait alors dit à Xi, via l'interprète, qu'il «devait continuer à construire ces camps» et qu'il pensait que c'était «exactement la bonne chose à faire».