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Libération
Graines d’un jour (5/6)

Le goût de l’exotisme

Gourmandes, exotiques, voyageuses… histoires de plantes.
par Stéphanie Maurice, correspondante à Lille
publié le 22 juillet 2020 à 17h26

La période coloniale, entre le XVIe et le XVIIIe siècle, a été propice à la dissémination des graines, par le réseau des jardins botaniques, centres névralgiques de contrôle du monde des plantes exotiques. Par intérêt commercial, le plus souvent, et par beauté de certaines, aussi. Kew Gardens à Londres, épicentre botanique de l'empire britannique, ou le jardin des Plantes à Paris centralisaient les envois de graines et de plants, les cultivaient dans une tentative d'acclimatation, puis les partageaient entre confrères. Les botanistes ont longtemps déploré les pertes sèches pendant les longues traversées maritimes : dans les cales, les graines sont malmenées, les plants meurent. A partir de 1829, la caisse de Ward, du nom de son inventeur, une mini-serre portable étanche aux projections d'eau de mer où la terre restait humide, sauve le plus grand nombre et ouvre la voie du voyage à encore plus d'exotiques. «Le taux de survie passe de 5 % à 95 %», précise Hélène Blais, historienne des colonisations. Les caisses de Ward ont aussi sauvé nombre d'orchidées et de fougères chez les particuliers collectionneurs londoniens, dans l'air victorien lourdement pollué, soumis aux pluies acides.

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La bougainvillée, cette merveille buissonnante violette, a mis du temps à arriver en France : elle porte le nom d'un explorateur, Louis-Antoine de Bougainville qui, à bord de la Boudeuse, fit le tour du monde entre 1766 et 1769, une circumnavigation commandée par Louis XV. Philibert Commerson, célèbre naturaliste, l'accompagne et trouve lors d'une escale au Brésil cette espèce luxuriante. Il s'était embarqué avec un jeune valet imberbe, en fait sa maîtresse déguisée, Jeanne Barret. C'est elle qui herborise pendant le voyage. Elle est démasquée, dit Bougainville, lors d'une escale à Tahiti, mais d'autres sources parlent d'agressions sexuelles venant de l'équipage. Elle se protège avec deux pistolets. Le couple débarque, avec sa collection botanique, à l'île Maurice. Mais Commerson meurt. Sans moyens, Jeanne tient un cabaret. Elle finit par se marier avec un soldat, rentre en France, et envoie aux jardins du roi ses 5 000 échantillons botaniques, dont 3 000 encore inconnus en métropole. Louis XVI la nomme «femme extraordinaire», la première à avoir bouclé un tour du monde.