C’est un meurtre aux résonances internationales, mêlant trois continents. Mercredi soir, Nicolas Zepeda, 29 ans, a quitté son domicile familial de Viña del Mar, où il était assigné à résidence, escorté par la police chilienne jusqu’à l’aéroport de Santiago. Il sera remis aux autorités françaises dès son arrivée à Roissy-Charles-de-Gaulle, ce vendredi à 10h55. Les enquêteurs le conduiront ensuite à Besançon (Doubs), où la justice le suspecte du meurtre de son ex-petite amie japonaise, Narumi Kurosaki, en décembre 2016. Le parquet se prononcera alors sur son placement en détention provisoire.
La Cour suprême chilienne avait décidé le 18 mai de son extradition, mais l'épidémie de Covid-19, qui a fortement frappé le pays, a retardé l'opération. «Il n'y a pas de convention d'extradition entre la France et le Chili, mais les autorités chiliennes, la justice chilienne, le parquet chilien ont fait preuve d'une très belle indépendance d'esprit en se basant uniquement sur les éléments du dossier pour prendre leur décision», a déclaré le procureur de Besançon, Etienne Manteaux.
Jalousie
Issu d’une riche famille, Nicolas Zepeda grandit à Temuco, dans le sud du Chili, avec ses deux sœurs jumelles. En 2014, il part étudier au Japon et rencontre une étudiante brillante : Narumi Kurosaki. Il commence une relation amoureuse avec la jeune femme, de trois ans sa cadette, qu’il invite au Chili pour la présenter à sa famille.
Le 25 août 2016, Narumi Kurosaki quitte le Japon sans mettre un terme à sa relation avec Nicolas Zepeda et part étudier en France, à Besançon. L'analyse des 980 messages échangés par les deux jeunes gens entre le 28 août et le 8 octobre 2016 témoigne d'une jalousie envahissante de Nicolas, à qui Narumi reproche de lui pourrir ses études à l'étranger et d'empoisonner sa vie. Même après qu'elle a rencontré un autre homme qui devient son petit ami. Dans les messages du suspect, les menaces se font de plus en plus pressantes. Le 7 septembre 2016, il publie une vidéo sur Internet et déclare : «Elle doit payer un petit coup pour ce qu'elle a fait. Assumer ça.»
A l'automne 2016, Nicolas Zepeda prend un vol pour la France et loue une voiture du 30 novembre au 7 décembre. Selon la géolocalisation du véhicule, il effectue des trajets entre Besançon et Dijon, longeant forêts et cours d'eau. Quelques jours avant de revoir son ancienne petite amie, il repère également le campus universitaire de Besançon où vit l'étudiante japonaise. Le 4 décembre au soir, ils dînent ensemble puis rentrent chez la jeune fille. C'est la dernière fois que Narumi Kurosaki sera vue en public. Selon le procureur, les voisins ont entendu ce soir-là «des hurlements de terreur, des cris». Mais «personne n'a prévenu la police», certifie le magistrat. Malgré les recherches, le corps de la jeune femme ne sera jamais retrouvé. D'abord traitée comme une «disparition inquiétante» dans les médias, l'affaire prend une tournure criminelle, le chef de poursuite retenu devenant l'«assassinat».
Allumettes
De retour dans son pays natal, Nicolas Zepeda se fait d'abord oublier. Mais au bout de quelques jours, il se présente spontanément à la justice chilienne. Il explique alors s'être «rendu compte qu'ils étaient toujours amoureux», et affirme avec une extrême minutie que leur histoire a duré «dix-huit mois et seize jours». Il raconte aussi avoir passé une partie de la nuit du 4 au 5 décembre 2016 avec la jeune femme, avant de repartir seul. Les caméras de surveillance montrent en effet Nicolas Zepeda quitter la chambre sans l'étudiante japonaise.
En France, les enquêteurs relèvent des traces au niveau de la porte de secours, située à l’arrière du campus. Nicolas Zepeda aurait pu traîner le cadavre de Narumi Kurosaki en passant par cette sortie pour éviter les caméras de surveillance. La géolocalisation de la voiture de location trahit encore le Chilien. Le 6 décembre 2016 à l’aube, il s’est enfoncé dans une zone boisée du Jura, où les enquêteurs imaginent qu’il aurait pu se débarrasser du corps. Quelques jours auparavant, Nicolas Zepeda avait fait l’acquisition d’allumettes, ainsi que d’un bidon de produit inflammable.
Ces indices sérieux conduisent la justice chilienne à le placer sous contrôle judiciaire. Il est également assigné à résidence, jusqu'à sa remise aux autorités françaises ce vendredi. Me Sylvie Galley, l'avocate des parents et des sœurs de Narumi Kurosaki, évoque une «avancée incroyable dans le dossier, une bouffée d'espoir pour aller plus loin dans les investigations». Le suspect continue de clamer son innocence.