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En Biélorussie, Svetlana Tsikhanovskaïa incarne l’espoir d’un renouveau

Plus de 60 000 personnes se sont rendues au rassemblement organisé par la candidate Svetlana Tsikhanovskaïa, devenue le visage de l’opposition au président Alexandre Loukachenko. A l’approche de l’élection du 9 août, le pays est traversé par un élan de soutien à cette nouvelle venue en politique.
La candidate Svetlana Tsikhanovskaïa en campagne, à Maladetchna vendredi. (SERGEI GAPON/Photo Sergei Gapon. AFP)
publié le 31 juillet 2020 à 18h55

Sourire confiant et poing levé, Svetlana Tsikhanovskaïa se tient fièrement face à la foule réunie pour l’acclamer dans le parc de l’amitié des peuples de Minsk, en Biélorussie. Jeudi, au crépuscule, l’ambiance est festive : drapeaux et ballons flottent au-dessus de la marée humaine, accompagnés de musique. L’événement est un succès. D’autant plus puisqu’il s’agit du rassemblement le plus important depuis plus de vingt ans : selon l’organisation de défense des droits humains Viasna, au moins 63 000 personnes sont venues soutenir la candidate qui s’apprête à défier le président Alexandre Loukachenko le 9 août, lors de l’élection présidentielle.

Critiques de plus en plus nombreuses

Dans un pays où les élections se font généralement «pour la forme», une perte de patience et une volonté de changement transparaissent au travers de cette mobilisation exceptionnelle. Car la Biélorussie, ex-république soviétique enclavée de l'est de l'Europe, n'a pas les traits d'une démocratie. Elle en est même à l'opposé. Au pouvoir depuis vingt-six ans, l'actuel président Alexandre Loukachenko – dont le paternalisme lui a valu le surnom «Batka», «petit père» en biélorusse – est déterminé à ne pas céder sa place à la tête du pays. Et espère obtenir un sixième mandat. Toutefois, les répressions qu'il a menées envers ses opposants, les irrégularités avérées lors des scrutins précédents, ou plus récemment sa gestion controversée de la crise du Covid-19 lui ont valu des critiques de plus en plus nombreuses.

Mi-juin, l'homme d'affaires Viktor Babariko était pressenti comme le candidat le plus crédible contre le pouvoir en place. Le diplomate Valery Tsepkalo était également dans une position favorable, bénéficiant d'un fort soutien populaire. Deux personnages indésirables pour le régime, qui a décidé de les écarter pour maintenir le statu quo. Résultat : Babariko a été emprisonné et Tsepkalo a dû se réfugier en Russie.

Malgré des sondages officiels, qui lui donnent 72% d'opinions favorables, Loukachenko regarde attentivement les rues de Minsk. Ces dernières, devenues le terrain de protestations spontanées depuis plusieurs semaines, font planer le doute quant à la pérennité de son règne. Et en cette fin de juillet, les manifestants n'ont qu'un nom à la bouche : Svetlana.

«Un lien entre notre pays actuel et un avenir radieux»

Svetlana Tsikhanovskaïa, 37 ans, est l'épouse d'un blogueur dissident emprisonné en mai par le régime. Cette ancienne traductrice a rapidement été propulsée comme rivale principale à Loukachenko, reprenant le flambeau de son mari, et ralliant toute l'opposition autour d'elle.

Le 16 juillet, elle posait pour une photo aux côtés de la directrice de campagne de Viktor Babariko, Maria Kolesnikova et de l'épouse de Valery Tsepkalo, Veronika Tsepkalo, consacrant ainsi l'union de l'opposition. L'une levant le poing, les deux autres formant respectivement un V de victoire et un cœur avec leurs doigts. Une image inédite dans une Biélorussie considérée comme la dernière dictature d'Europe. «Une majorité de Biélorusses soutiennent Svetlana, se félicite Maria Kolesnikova, notamment des jeunes, mais aussi des familles qui étaient venues à notre rassemblement. Elle a aussi une popularité croissante dans les villes, alors qu'auparavant l'électorat d'opposition était concentré à Minsk.»

Si elle rassemble, Tsikhanovskaïa ne se cache pas d'être novice en politique : «Je ne suis pas une politicienne, ne me considérez pas comme telle», avait annoncé la candidate au micro du média d'opposition Echo de Moscou. Avant d'ajouter : «Considérez-moi plutôt comme un lien entre notre pays actuel et un avenir radieux.» Si elle arrive au pouvoir, la candidate affiche deux priorités : organiser de nouvelles élections, où tous les candidats alternatifs pourront participer, et libérer les prisonniers politiques.

Trio d'opposition

Interrogée par Libération au sujet de l'évènement de jeudi, Maria Kolesnikova s'est réjouie d'une atmosphère bienveillante, avec des forces de l'ordre qui en assurent le bon déroulement. Loin des arrestations en masse de manifestants qui avaient entaché les élections précédentes. «La différence, c'est qu'eux étaient venus dénoncer les résultats falsifiés après les élections. Nous, nous mettons la pression dès la première étape», détaille-t-elle.

Le taux de participation joue un rôle crucial dans ce scrutin. «La situation a complètement changé. Nous ne sommes plus dans le même pays qu'il y a trois mois, et beaucoup de personnes auparavant apolitiques veulent désormais changer les choses», explique Maria Kolesnikova. Selon elle, «plus il y aura d'électeurs, moins le risque de falsification sera important».

Pour l’instant, cinq candidats sont en lice pour la présidentielle, dont deux du côté de l’opposition. Une alliance plus large est-elle envisageable ? «Lors de notre conférence de presse commune, nous avons proposé aux autres candidats de nous soutenir, mais n’avons pas eu de réponse de leur part», explique Maria Kolesnikova. Avec sa désinvolture habituelle, Loukachenko avait déclaré que la Constitution biélorusse «n’était pas faite pour les femmes», le trio d’opposition entend bien démontrer le contraire.