«Un séisme», «une onde de choc», du «jamais vu». Les mots manquaient aux habitants de Beyrouth pour décrire les explosions qui se sont produites mardi à 18 heures, heure locale, dans la zone du port. Même ceux qui ont en mémoire les bombardements massifs et les attentats colossaux qu'a connus la capitale libanaise au cours des dernières décennies n'avaient vu ou entendu déflagration d'une telle ampleur. Mardi soir, le président libanais, Michel Aoun, a convoqué une «réunion urgente» du Conseil supérieur de la Défense.
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Le gouverneur de la ville a évoqué les bombardements de Hiroshima et de Nagasaki en 1945. Les images du champignon de fumée provoqué par le souffle font en effet penser à une bombe atomique. Les deux puissantes explosions successives ont secoué la capitale et provoqué des incendies ravageurs dans tout le secteur du port, et les pompiers luttaient encore mardi soir pour les éteindre. Des canadairs participaient également à cette guerre du feu.
Des hôpitaux débordés
Tout Beyrouth a été complètement soufflé. Les vitres des immeubles ont explosé à des kilomètres à la ronde, blessant les habitants dans leurs appartements. La déflagration a été entendue jusque dans la ville de Saïda, à une vingtaine de kilomètres au sud de Beyrouth. Et selon des témoins, jusqu’à la ville côtière de Larnaca, à Chypre, distante d’un peu plus de 200 kilomètres des côtes libanaises. Presque toutes les vitrines des magasins du quartier de Hamra (ouest) ont volé en éclats, tout comme les vitres des véhicules.
Des voitures avec leurs airbags gonflés, certaines retournées comme des boîtes de conserve, mais aussi des bus abandonnés au beau milieu des routes et de l’autoroute proche du port… Le site où ont retenti les explosions a été bouclé une heure après par l’armée libanaise et les forces de l’ordre, alors que les sirènes des ambulances et des véhicules de pompiers couvraient les cris des passants affolés.
Une maison s’est effondrée sur ses habitants, des personnes très jeunes et des enfants restaient prisonniers des décombres. Plus près du lieu des explosions, des immeubles de plusieurs étages se sont écroulés. Mercredi matin, la Croix rouge libanaise faisait état d'un bilan d'au moins 100 morts.
Les blessés - au moins 4 000, selon les autorités libanaises mercredi matin - se sont rués vers les hôpitaux, dans l’incapacité de faire face à l’affluence. Déjà débordés par les malades du Covid, ils ne pouvaient prendre en charge que les cas les plus graves, renvoyant ceux qui n’avaient besoin que de points de suture. Atteints par les éclats de verre pour la plupart, les blessés étaient invités à se débrouiller par leurs propres moyens. A l’Hôtel-Dieu de Beyrouth, le chef de la sécurité a indiqué que les urgences étaient débordées, avec des blessés au sol et à l’extérieur du bâtiment.
Piste accidentelle
Alors que la véritable cause de cette explosion géante restait indéterminée mardi en fin de journée, diverses spéculations et pistes ont été évoquées par différentes sources. Dans un premier temps, le ministre de la Santé, Hamad Hassan (proche du Hezbollah), a commencé par expliquer qu’un navire transportant des feux d’artifice avait explosé dans le port. Puis des camions qui auraient approché une base militaire ont été mentionnés.
La piste accidentelle semblait la plus probable mardi soir, selon le général Abbas Ibrahim, directeur de la Sécurité générale. Il a indiqué que les explosions se seraient produites dans un «dépôt de matières hautement explosives dans le port». Le gouvernement pointe du doigt une cargaison de nitrate d'ammonium stockée «sans mesures de précaution» sur le port. «Il est inadmissible qu'une cargaison de nitrate d'ammonium, estimée à 2750 tonnes, soit présente depuis six ans dans un entrepôt, sans mesures de précaution. C'est inacceptable et nous ne pouvons pas nous taire», a déclaré le Premier ministre devant le Conseil supérieur de défense, selon des propos rapportés par un porte-parole en conférence de presse. Le nitrate d'ammonium, substance qui entre dans la composition de certains engrais mais aussi d'explosifs, est un sel blanc et inodore utilisé comme base de nombreux engrais azotés sous forme de granulés, et a causé plusieurs accidents industriels dont l'explosion de l'usine AZF à Toulouse en 2001.
De nombreux pays ont proposé de l'aide au Liban, notamment la France. Le président Emmanuel Macron a annoncé sur Twitter l'envoi d'un détachement de la sécurité civile et de «plusieurs tonnes de matériel sanitaire» à Beyrouth. Les Etats-Unis ont également proposé leur aide, ainsi que l'Allemagne, qui compte des membres du personnel de son ambassade à Beyrouth parmi les blessés. Même Israël a proposé soir «une aide humanitaire et médicale» à son voisin libanais, avec lequel il est techniquement toujours en guerre.
Ce drame frappe le Liban, qui a décrété un jour de deuil national mercredi, au moment où il traverse la pire crise de son histoire, à la fois financière, économique, sociale et sanitaire. Il va devoir maintenant gérer les conséquences de cette nouvelle catastrophe.