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Libération
Ma frontière bien aimée (16/36)

Courlande, isthme et schisme

Souvenirs de passages de frontières, fictionnelles, réelles ou fantasmées. Il est toujours temps de rêver quand voyager devient compliqué.
(Illustration Christelle Causse)
publié le 4 août 2020 à 17h36

L’isthme de Courlande, sorte de bassin d’Arcachon lituanien, mérite à lui seul le voyage dans ce pays. Inscrite au patrimoine mondial de l’humanité, la flèche de sable de 98 kilomètres de long, et parfois étroite de moins de 400 mètres, sépare la mer Baltique de la lagune de Courlande. Créée selon la légende après un affrontement entre dieux colériques, la bande fut longtemps peuplée par des descendants de chevaliers teutoniques qui parlaient le couronien, un genre de vieux prussien.

Aujourd’hui, elle est un havre de paix : d’un côté, les longues plages qui donnent sur la mer calme et bien plus chaude en été qu’on ne l’imagine, nous, touristes français. De l’autre, des jolies maisons colorées en bois en bord de lac, donnant l’impression d’être au Canada ou en Norvège. Au centre, pour se déplacer, de longues pistes cyclables dans la pinède, n’ayant rien à envier à celles de l’île de Ré. Le petit paradis est presque parfait. Sauf que lorsqu’on marche un peu trop loin dans les immenses dunes, une étrange litanie de bâtiments inattendus finit par surgir. Ce sont des tours de guet. L’isthme est en réalité coupé en deux et sépare la Lituanie de l’enclave russe de Kaliningrad, accessible seulement avec un visa. Hermétique, la frontière fait ressurgir une ambiance de guerre froide, comme si en haut de la dune du Pilat, les blockhaus étaient encore peuplés par des soldats allemands, prêts à tirer sur le quidam égaré. Ce jour-là à Courlande, en short et casquette, nous rêvions de passer en fraude de l’autre côté, pour nous lancer dans la contrebande internationale. Mais pas très courageux, nous finîmes par rentrer manger une glace.