En Biélorussie, l’élection présidentielle aura officiellement lieu dimanche mais les fraudes ont déjà débuté. Le code électoral prévoit une période de cinq jours de vote anticipé (qui s’étend cette année du 4 au 8 août), et offre une première occasion au président contesté, Alexandre Loukachenko, de forcer les résultats. «Les fraudes sont un fait avéré en Biélorussie, pointé par les observateurs de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) à chaque élection. Le vote anticipé, qui représente 35% à 40% des suffrages, est particulièrement problématique. Les urnes passent la nuit au bureau de vote, c’est une porte ouverte pour les falsifications», pointe Ioulia Shukan, maîtresse de conférences en études slaves à Paris-Nanterre.
Mardi, pour le premier jour de vote anticipé, les observateurs indépendants ont relevé 2056 infractions au code électoral, alors que tout est fait pour les écarter des urnes. Une observatrice accréditée à Novopolotsk, une ville moyenne du nord du pays, s'est vu refuser l'accès à son bureau de vote. «Le nombre d'observateurs par bureau de vote a été réduit à trois, officiellement pour limiter la propagation du Covid, alors que Loukachenko s'est toujours moqué du virus. Les seuls observateurs autorisés à entrer sont ceux qui soutiennent le gouvernement», explique-t-elle. De la même manière, le dépouillement se fera uniquement en présence d'observateurs pro-gouvernementaux. Et l'observatrice accréditée sera en théorie autorisée à suivre le vote dimanche uniquement, entre 8 heures et 15 heures. «En attendant, je ne peux rien faire. La falsification aura lieu à huis clos. Le seul recours possible serait d'envoyer une plainte au procureur, mais j'aurais alors toutes les chances d'être arrêtée, comme d'autres observateurs l'ont déjà été», assure-t-elle.
Absence d’observateurs internationaux
Des cas comparables ont été recensés dans tout le pays. Privés d'entrer dans les bureaux de vote par la police ou les membres de la commission électorale, les observateurs indépendants ont dû se résoudre à surveiller le vote par les fenêtres ou se contenter d'évaluer l'affluence. Leurs premiers chiffres évoquent une participation deux à quatre fois plus basse que celle avancée par le pouvoir. Et en l'absence d'observateurs internationaux – l'OSCE a renoncé à envoyer les siens faute d'invitation de la part de Minsk et les Russes ont retiré les leurs en début de semaine, après les tensions provoquées par l'arrestation d'hommes présentés comme des mercenaires russes –, leurs rapports seront les seuls à exister.
«Le problème réside aussi dans le décompte des voix, et ce à plusieurs niveaux. Les personnes choisies pour compter dans les bureaux de vote sont prises dans des rapports de pouvoir, cela peut être par exemple une directrice d'école et des institutrices. Et tout en haut de l'échelle, la commission centrale électorale est verrouillée par la même présidente depuis vingt ans», explique Ioulia Shukan. Pour limiter ces biais, l'opposition, qui organise depuis plusieurs semaines des meetings d'ampleur, conseille aux électeurs d'aller voter dimanche seulement, de prendre en photo leur bulletin de vote et de l'enregistrer sur une plateforme indépendante. Faibles moyens de défense, d'autant que pour faire bonne mesure, les rideaux ont aussi été retirés des isoloirs.
Rassemblements empêchés
Dans ces conditions, Loukachenko sera selon toute logique proclamé vainqueur des élections. En revanche, en ce qui concerne la séquence post-électorale, les interrogations restent entières. «La mobilisation qui secoue le pays est sans précédent depuis la fin des années 90, mais son issue va dépendre de sa capacité à provoquer des divisions au sein des élites et de l'appareil sécuritaire qui soutiennent Loukachenko. Pour le moment, je n'ai pas l'impression qu'elles apparaissent, relève Ioulia Shukan. Les rassemblements de l'opposition sont autorisés dans le cadre de la campagne électorale mais ce ne sera plus le cas dès qu'elle sera terminée. Les risques de répression augmenteront et pourront dissuader les citoyens de descendre dans la rue pour protester.»
En attendant, le pouvoir resserre son étau. Mardi, cinq rassemblements de soutien à l’opposition ont été empêchés, après le lancement subit de travaux publics dans les stades et bâtiments qui devaient les accueillir. Dans la capitale Minsk, le dernier grand meeting de campagne de la candidate de l’opposition Svetlana Tikhanovskaya est prévu jeudi. On ne sait pas encore où il aura lieu. La place où il était censé se tenir a été réquisitionnée par le gouvernement pour organiser un concert en soutien aux troupes ferroviaires des forces armées, une unité militaire supprimée depuis plusieurs années.