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Analyse

Aide internationale au Liban : la quête de la «bonne gouvernance»

Explosions à Beyrouth: la colère des Libanaisdossier
Plusieurs Etats dont la France ont déjà envoyé des moyens en urgence. Mais une coordination globale garantissant la bonne utilisation des fonds sera délicate à mettre en place.
Emmanuel Macron en visite à Beyrouth jeudi. (REUTERS)
publié le 7 août 2020 à 20h21
(mis à jour le 8 août 2020 à 11h21)

«Cette aide, elle n'ira pas dans les mains de la corruption.» Emmanuel Macron a formulé ce vœu une première fois jeudi en réponse à l'interpellation d'une Beyrouthine, lors de son bain de foule dans le quartier de Gemmayzé, particulièrement dévasté par les deux explosions survenues mardi dans la capitale libanaise. Puis le président français l'a répété et développé le soir même pendant sa conférence de presse : «Nous mettrons en place une gouvernance claire et transparente pour que l'ensemble de cette aide, qu'il s'agisse de l'aide française comme de l'aide internationale, soit directement acheminé aux populations, aux organisations non gouvernementales, aux équipes sur le terrain qui en ont besoin, sans qu'aucune opacité, aucun détournement ne soient possibles.»

La suite est loin d'être écrite. Une conférence internationale doit être organisée prochainement - «en début de semaine», espère l'Elysée - afin de réunir les Etats et organisations qui souhaitent participer financièrement à la reconstruction. Elle le sera sous l'égide ou a minima en coordination avec les Nations unies. La diplomatie française s'active en même temps pour définir un modus operandi afin que l'aide arrive bien à destination, auprès de la population, très remontée contre la corruption de la classe dirigeante et inquiète de ne pas en voir la couleur. Des agents du centre de crise du Quai d'Orsay sont présents sur place à Beyrouth pour évaluer les besoins et mettre au point les mécanismes ad hoc pour orienter les financements.

L’aide d’urgence afflue déjà vers le Liban, pays qui concentre des rivalités régionales et internationales. Les Etats-Unis ont annoncé vendredi envoyer 15 millions de dollars (12,7 millions d’euros) de nourriture et de médicaments. Une première cargaison avait déjà été expédiée jeudi par l’armée américaine depuis la base Al-Udeid, au Qatar. Plusieurs pays arabes ont aussi envoyé de l’assistance, de même que l’Iran, parrain historique et fidèle allié du Hezbollah.

Sapeurs

La Commission européenne a débloqué 33 millions d'euros, notamment sous forme d'aide médicale. «Il faudra [s']assurer que les fonds qui seront mis à disposition soient gérés de la manière la plus efficace possible», a insisté vendredi le porte-parole de la Commission, en écho aux déclarations françaises, mais sans aller aussi loin que le chef de l'Etat.

La France a fait partir de l'aide d'urgence sans attendre. Un avion militaire de transport a décollé vendredi matin pour livrer du matériel. C'est le quatrième depuis mercredi, les trois précédents ayant notamment convoyé des sapeurs sauveteurs de la Sécurité civile et des marins pompiers. Cette assistance est pilotée à Paris par Matignon, qui a réuni dès mercredi après-midi les ministres concernés (Quai d'Orsay, Armées, Intérieur, mais aussi Transports, Santé, Comptes publics etc.). Enfin, Emmanuel Macron a annoncé l'envoi du porte-hélicoptères Tonnerre, deuxième plus gros bâtiment de la marine nationale après le porte-avions. Il devrait arriver la semaine prochaine avec du matériel et pourrait au besoin servir d'hôpital. Le centre de crise du Quai d'Orsay a organisé dès mercredi après-midi une visioconférence avec le «groupe concertation humanitaire», qui réunit les principales ONG françaises. «On nous a informés de ce que faisait la France, de l'envoi du matériel, et on nous a proposé une aide logistique», raconte Pierre Mendiharat, directeur des opérations adjoint de MSF. Un premier tour de table pour saisir les besoins sans annoncer d'enveloppe, encore moins de conditions liées à la bonne gouvernance des projets.

«Pharmacie»

Plusieurs ONG sont déjà implantées au Liban. MSF, qui maintient deux hôpitaux pédiatriques, a immédiatement donné du matériel médical, et commence une phase d'évaluation des besoins à moyen terme. «Le choc a été énorme. D'importants stocks de pharmacie ont été détruits, mais le personnel de santé libanais a fait face, relève Pierre Mendiharat, comparant la situation avec une catastrophe naturelle. Comme souvent dans ces cas-là, l'aide massive vient d'abord du pays touché.» Acted envisage de lancer des opérations d'urgence dans le secteur de l'eau, l'hygiène et l'assainissement, et veut concourir à la mise à l'abri des centaines de milliers d'habitants dont le domicile est détruit ou gravement endommagé. Jusqu'ici, l'ONG ne faisait pas d'aide d'urgence au Liban, à l'instar d'Oxfam, présente dans le pays depuis 1993. «L'effondrement de l'économie et les effets de la crise syrienne nous poussaient déjà à regarder différemment la situation libanaise, et à ne plus faire seulement du développement, mais aussi intervenir en urgence», décrit Jon Cerezo, responsable des campagnes humanitaires pour cette dernière. L'ONG enverra prochainement de l'aide, après avoir débloqué un premier financement.

La promesse formulée par Emmanuel Macron fait tiquer plusieurs humanitaires. Pierre Mendiharat souligne que MSF «vérifie déjà par elle-même la destination de l'aide avec des systèmes simples (audits financiers) ou plus élaborés, comme des comités de pilotage comprenant des personnes du secteur public et de la société civile». A grande échelle, seules les Nations unies, au moyen du Bureau de coordination des affaires humanitaires (OCHA), paraissent outillées pour centraliser les expressions de besoins et les financements. «Ce n'est pas forcément garantie d'efficacité», avertit un humanitaire.