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Liban : «Aucun gouvernement au monde n’aurait pu résister à une telle pression populaire»

Explosions à Beyrouth: la colère des Libanaisdossier
Six jours après l'explosion colossale sur le port de Beyrouth qui a cristallisé la colère du peuple, le Premier ministre Hassan Diab, nommé en février, annonce la chute de son gouvernement.
Le Premier ministre Hassan Diab, le 7 mars. (Handout ./Photo Reuters)
par Clotilde Bigot, Correspondante à Beyrouth (Liban)
publié le 10 août 2020 à 19h25

Six mois et vingt jours, voilà le temps qu’aura tenu Hassan Diab au poste de Premier ministre du Liban : son gouvernement a officiellement démissionné ce lundi soir. Les responsables des Finances, de la Justice, de la Défense de l’environnement et de l’Information avaient déjà présenté leur démission après la double explosion survenue mardi soir à Beyrouth, et d’autres démissions étaient à prévoir.

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Tout est allé très vite ce lundi. Après la réunion d'urgence qui a suivi les premiers départs, deux ministres ont déclaré qu'aucune démission collective n'était à l'ordre du jour. «Le gouvernement tient bon», déclarait le ministre de l'Industrie. Pour Karim Bitar, professeur de relations internationales à l'Université Saint-Joseph et à l'Institut de relations internationales et stratégiques (Iris), «ces départs sont la conséquence inéluctable de l'explosion du 4 août. Aucun gouvernement au monde n'aurait pu résister à une telle pression populaire et à une telle colère. Certains ministres ne voulaient pas démissionner et ont été contraints de le faire sous la pression de leurs proches».

Aucune promesse tenue

Ce gouvernement, formé de technocrates supposément indépendants, était décrié par les manifestants et vu comme une nouvelle mascarade politique. Quatre des ministres étaient affiliés aux principaux partis chiites, Amal et Hezbollah, et six étaient affiliés au parti du président Aoun, alliés du Hezbollah, formant la plus grande alliance au sein du gouvernement. Seule la ministre de l'Information, Manal Abdel Samad Najd, était considérée comme indépendante. Elle a été la première à démissionner au lendemain des explosions qui ont ravagé le port en s'adressant aux Libanais : «Je présente mes excuses auprès des Libanais, nous n'avons pas pu répondre à leurs attentes.»

Lors de l’investiture du nouveau gouvernement, le 11 février, 29 promesses au peuple libanais avaient été faites par Diab, notamment sur le combat contre la corruption et pour une plus grande liberté de la presse. Ces promesses devaient être concrétisées dans les cent jours après l’intronisation du gouvernement, mais aucune n’a été tenue, relançant la frustration de la rue.

Du côté de la place des Martyrs, l'heure n'est pas au repos, ni à la célébration, mais à la méfiance. Marc, 30 ans, est un manifestant de la première heure. «Le problème c'est que maintenant, nous nous dirigeons vers l'inconnu. Nous sommes en pleine crise économique et financière, on ramasse les débris de notre ville, et nous n'avons plus de gouvernement. Nous ne sommes pas sûrs de la direction vers laquelle on va.»

Cette inquiétude se voit chez tous les manifestants. La démission du gouvernement est une étape, mais pas une fin en soi. Leur volonté, traduit dans le fameux slogan «killon yaané killon» («tous, mais vraiment tous»), c'est de voir tomber toute cette classe politique qu'ils considèrent comme corrompue et responsable, par leur incapacité à gérer le pays, de la double explosion qui a fait 158 morts et plus de 6 000 blessés.

Plusieurs dizaines de personnes se sont réunies dans le centre-ville ce lundi soir pour maintenir la pression sur la classe politique et le Parlement, qui devrait dans les jours qui viennent nommer un nouveau Premier ministre.