Bruno Clément-Bollée, ex-général de l’armée française, est aujourd’hui consultant international en matière de sécurité en Afrique.
Le putsch au Mali, pays à l’intégrité territoriale déjà entamée, fait-il redouter la peur du vide ?
On assiste surtout au pire scénario possible, le plus redouté. On craignait une entreprise de déstabilisation d’un Etat faible et que la dérive actuelle de la vie politique malienne conduise à des rebondissements. Mais on n’imaginait pas que l’issue la plus redoutée se produirait : non pas un changement institutionnel, mais une prise du pouvoir par des militaires qui symbolisent la force, au nom d’un ras-le-bol face à l’incapacité de l’équipe au pouvoir.
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Quel type d’allié le Mali est-il dans la lutte contre les groupes jihadistes dans la région : friable, faible ?
C’est un allié difficile, un pays qui concentre le plus d’attaques et de menaces sur son propre sol. L’armée malienne a été attaquée début août à deux reprises à l’arme lourde par des jihadistes dans la région de Ségou, à une centaine de kilomètres de la frontière mauritanienne. Elle avait déjà perdu 24 hommes mi-juin à Bouka Weré, dans le centre du pays. L’armée tente de faire ce qu’elle peut malgré l’incapacité et l’indigence des dirigeants qui viennent d’être renversés.
Le coup d’Etat alimente-t-il une incertitude supplémentaire dans la lutte contre le terrorisme ?
Cela renforce l'acuité de questions que l'on se posait déjà. Il va falloir «rebrancher» le pays avec des institutions reconnues par la communauté internationale. La bande de militaires [ayant pris le pouvoir, ndlr] semble avoir le souci de transmettre rapidement le pouvoir au civil. Mais avec qui refait-on le Mali ? Avec le Mouvement du 5 Juin - Rassemblement des forces patriotiques du Mali (M5-RFP), qui appelait, la veille encore, à la démission du président malien, Ibrahim Boubacar Keïta ? Avec l'autorité morale incarnée par l'imam wahhabite Mahmoud Dicko, figure de proue de la contestation ? De nouvelles têtes vont-elles émerger ou va-t-on recycler des figures déjà connues de la politique malienne ? Il est capital que les acteurs de la lutte antiterroriste obtiennent rapidement des réponses, à commencer par la France.
Quel bilan tirez-vous de huit années d’intervention militaire française au Mali et, au-delà, des 5 100 militaires de la force Barkhane ?
Barkhane n’est pas seule, c’est un élément du dispositif international, avec la coalition G5 Sahel, les missions de formation de l’UE, la Minusma (force de l’ONU au Mali) et les forces militaires locales. Mais oui, on doit s’interroger sur l’option du tout sécuritaire qui a trouvé depuis longtemps ses limites. L’intelligence doit prévaloir, sinon la France s’enlisera et cela risque d’être sans fin. Il faut une stratégie globale qui doit être avant tout une stratégie sahélienne. Ce n’est pas à la France d’imposer une solution, mais à elle d’accompagner vers des solutions. Il s’agit donc, si l’on veut combattre efficacement le jihadisme, de mettre en place des pistes politiques, «développementalistes», sociales, et économiques. On en parle beaucoup, mais ce ne sont que des mots : sur le terrain, rien ne se passe.
Mais concrètement, par quoi passe cette stratégie sahélienne ?
Par l’implication réelle des populations locales. On oublie trop souvent qu’il existe des communautés dans les territoires dans lesquels opèrent les terroristes. Qui n’adhèrent pas au système politique, lequel les exclut trop souvent. La nouvelle donne à Bamako doit être l’opportunité de renouer ce fil. Un réel changement se dessinera quand les populations, terrorisées par les jihadistes mais pas seulement, coopéreront et dénonceront spontanément les colonnes de combattants à moto (dont l’islam pratiqué et importé n’a rien à avoir avec celui de rite malékite, dominant au Mali) aux autorités militaires en qui elles auront enfin confiance.
La zone la plus stratégique reste-t-elle celle des trois frontières entre le Mali, le Niger et le Burkina Faso ?
La situation est particulièrement sensible au Burkina Faso, où règnent des petites bandes islamistes radicales, et qui est la porte d'entrée des pays côtiers, tels que le Ghana, la Côte-d'Ivoire, le Togo ou le Bénin dont les populations du Nord sont coupées de celle du Sud, et exclues du développement. Ce n'est plus le Sahel, mais l'Afrique de l'Ouest qui est potentiellement concernée [par la menace terroriste, ndlr]. D'autant qu'elle va connaître des échéances électorales capitales, sur fond de crise économique et sociale. Les élites locales ont leur responsabilité dans ce qui se profile, en raison de leur corruption et de l'évasion fiscale, qui condamne ces pays au mal-développement et alimente des inégalités criantes.
Le terrible assassinat de huit humanitaires de l’ONG Acted, dont six Français, traduit-il une insécurité croissante dans la région ?
Il illustre la libre circulation de groupuscules dans une zone plus grande que l’Europe impossible à totalement sécuriser. Ces assassinats sauvages posent énormément de questions. A commencer par leur revendication, qui n’a toujours pas eu lieu.