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Libération
Ma frontière bien aimée (35/36)

Voir «Ailleurs» si j’y suis

Souvenirs de passages de frontières, réelles, fictionnelles ou fantasmées. Il est toujours temps de rêver quand voyager devient compliqué.
(Illustration Christelle Causse)
publié le 27 août 2020 à 17h06

Cet été, ne pouvant partir au loin, acculé chez moi par la canicule parisienne, j'ai voyagé Ailleurs, en Grande Garabagne, dans ce pays de cocagne connu des poètes et surtout d'Henri Michaux. J'y étais déjà allé, et autant vous dire qu'on n'est jamais déçu. Les peuples y sont drôles, étranges, circonspects, parfois violents, souvent sexuels. J'ai croisé les Emanglons, qui étouffent leurs malades et qui n'aiment pas travailler. J'ai tenté de discuter avec les fiers Aravis, mais ils ne m'ont pas répondu. Je suis allé admirer les Orbus, «visqueux et spectaculaires», dont les «danses les plus belles, qui comprennent quantité de figures et qui constituent de remarquables petites pièces de théâtre, sont les danses des pieds». J'ai eu très peur des Bordètes, qui mettent à mort les commerçants. J'ai plongé dans la mer, le «corps bleuté de phosphorescences», avec les Vibres. Et, lors d'une orgie en Immérie, «au moment même de la jouissance amoureuse», j'ai manqué d'être étranglé par ma «compagne et ses amies». Je passais aussi par le pays de la Magie , entouré de bouées inquiétantes pour le protéger, puis j'allais jeter un coup d'œil à I ci, Poddema, «où le baiser est gratuit, expressément gratuit, si long soit-il». Je n'avais pas besoin de passeport, de billets d'avion ou de train, de mettre de l'essence dans la voiture, je voyageais, d'un pays poétique à l'autre, franchissant les barrières vaporeuses du réel, passant des frontières rêveuses.

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