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Libération
Récit

Au Liban, Macron entre promesses et pression

Explosions à Beyrouth: la colère des Libanaisdossier
Le président français a annoncé la tenue à Paris d’une conférence internationale mi-octobre. Son activisme tous azimuts risque de relégitimer une classe politique conspuée par la population libanaise.
Emmanuel Macron plante un cèdre à Beyrouth mardi. (Photo Gonzalo Fuentes. AP)
publié le 1er septembre 2020 à 20h11

Emmanuel Macron avait promis aux Libanais qu’il ne «les lâcherait pas», lors de sa première visite le 6 août. En maître des horloges, il a, lors ce retour promis, tracé les objectifs, donné les instructions et fixé les délais. Un agenda de réformes visant à obtenir l’aide internationale selon un «plan de sauvetage» ainsi élaboré par la France.

«Les trois prochains mois seront déterminants pour un véritable changement», a déclaré Emmanuel Macron à la correspondante du site Politico dans l'avion entre Paris et Beyrouth. Sinon, le président de la République «changera de registre en prenant des mesures punitives qui iraient de la rétention de l'aide internationale à l'imposition de sanctions contre la classe dirigeante», selon Politico. Signe de l'urgence, à son arrivée à Beyrouth, le chef de l'Etat a annoncé une nouvelle conférence internationale sur l'aide au Liban mi-octobre à Paris. Des bâtons dans l'immédiat pour des carottes promises. La délégation de Macron inclut des experts franco-libanais de haut calibre et des technocrates dans tous les secteurs clés, électricité et banque en tête.

«Retour à la realpolitik»

Dans ce dernier domaine, une exigence claire est formulée sur la «réalité des chiffres». «Il y a aujourd'hui une crise de la Banque centrale et du système bancaire. Beaucoup de fonds ont été transférés, a indiqué Emmanuel Macron. Il faut qu'il y ait un audit pour savoir si l'argent a été détourné et, dans ce cas, prendre des mesures judiciaires.» Une menace feutrée qui vise le très contesté gouverneur de la Banque du Liban, Riad Salamé. Celui-ci a aussitôt réagi à l'occasion d'une interview sur Sky News Arabe. Il a annoncé avoir appelé la semaine dernière les établissements et les grands dépositaires libanais à rapatrier une partie des fonds transférés à l'étranger, faute de quoi des enquêtes judiciaires seraient lancées. En preuve de bonne volonté dans la lutte contre la corruption, le ministre des Finances démissionnaire, Ghazi Wazni, a signé mardi des contrats avec les cabinets KPMG, Oliver Wyman et Alvarez  & Marsal pour l'audit juricomptable (la recherche d'éventuelles fraudes) de la Banque du Liban, une demande pressante du Fonds monétaire international et de la France.

Ce soutien multiforme apporté par Paris «marque un retour à la realpolitik, estime Ziad Majed, professeur de relations internationales à l'Université américaine de Paris. En travaillant avec les responsables en place, Macron permet à toute la classe politique de se reconstruire et de retrouver une légitimité». Lors de sa première visite, début août, le président français avait conforté les Libanais, ulcérés par l'explosion du port, en critiquant ouvertement la classe politique. Mais il a provoqué «une grande déception chez les Libanais cette fois-ci en travaillant avec leurs dirigeants, qui les ont menés à la catastrophe», poursuit Ziad Majed. En fin de journée, la colère s'est même exprimée au centre de Beyrouth, où des manifestants se sont heurtés aux forces de l'ordre.

Anti-impérialisme

L'inclusion du Hezbollah parmi les forces politiques libanaises appelées à refonder le pays a braqué une grande majorité des Libanais, hostiles au puissant mouvement chiite, considéré comme le premier responsable de l'explosion de l'entrepôt de nitrate d'ammonium le 4 août. Cependant, dans le même temps, le Hezbollah continue d'avoir le soutien d'une écrasante majorité de la population chiite libanaise, mais aussi d'une minorité de chrétiens, partisans du président Michel Aoun, et d'un reste de «gauchistes» ou nationalistes libanais soutenant le mouvement au nom de l'anti-impérialisme et de la lutte contre Israël. «Le Hezbollah sait se montrer pragmatique et arrangeant, mais n'abandonne pas sa partie, reprend Ziad Majed. Comme l'Iran il joue de sa présence et de sa force de nuisance pour gagner du temps.» Et ce jusqu'aux élections américaines, une échéance attendue par tous les Libanais, y compris ceux hostiles au Hezbollah, qui espèrent que la politique de Trump de «pression maximale» sur l'Iran et ses alliés se poursuive, avec ou sans le locataire actuel de la Maison Blanche.

«Un échec de Macron au Liban serait dramatique pour toute sa posture au Moyen-Orient, estime Ziad Majed. Se poser en médiateur entre l'Iran et les Etats-Unis reste essentiel pour lui qui en espère de bonnes répercussions pour le Liban comme pour l'Irak.» En effet, à Bagdad, où Emmanuel Macron devait se rendre directement depuis Beyrouth pour une visite de quelques heures, les enjeux d'une sortie d'un système communautariste corrompu et d'un jeu d'influence tendu entre l'Iran et les Etats-Unis sont comparables. «La France cherche à remplir le vide laissé par le retrait de l'armée américaine d'Irak», note Adel Bakawan, directeur d'études à l'Institut de recherche sur le Moyen-Orient et la Méditerranée (Iremmo). Une nouvelle implication militaire qui est aussi économique : la France a décidé d'investir un milliard d'euros en Irak, notamment dans la reconstruction des infrastructures pétrolières. «Une somme inédite qui indique que la France cherche à se refaire une vraie place en Irak», conclut Adel Bakawan.