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Libération
CHRONIQUE «TERRES PROMISES»

A vendre, palace à Tel-Aviv. S'adresser à Donald Trump

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Chaque mardi, instantanés d’Israël et de Palestine, à la découverte des bulles géographiques et mentales d’un territoire aussi petit que disputé. Aujourd’hui, visite aux abords de la résidence de l'ambassadeur américain au nord de Tel-Aviv, mise en vente par la Maison Blanche cet été au profit d'un mystérieux et richissime acquéreur. Une opération immobilière hors normes, et pas dénuée d'arrière-pensées politiques.
Le président américain Donald Trump et Sheldon Adelson, en Floride, le 7 décembre 2019. (Photo Mandel Ngan. AFP)
publié le 8 septembre 2020 à 9h55

Un soir au soleil couchant, c'est autour de la maison la plus chère d'Israël qu'on est venu rôder. Le fondateur du sionisme, Theodor Herzl, planté sur le château d'eau à l'entrée de la ville qui porte son nom (Herzliya donc, au nord de Tel-Aviv), nous a lancé un regard sévère du bord de la route menant jusqu'à la falaise où fut édifié ce manoir dans les années 1960.

Là, dans la rue la plus huppée du pays, sorte de Malibu hébreu où cohabitent milliardaires de la tech, ambassadeurs de puissantes contrées et oligarques ayant redécouvert leur judéité après divers ennuis sur le Vieux Continent, se joue un whodunit immobilier. Quel mystérieux acheteur a bien pu débourser 300 millions de shekels (75 millions d'euros) pour cette immense baraque aux persiennes tirées et où flotte le drapeau américain derrière le portail blindé ?

Une déco très «Mad Men»

Le vendeur, qui n'est autre que le gouvernement américain, ne fait aucun commentaire. Car cette imposante villa, au vague style moderniste californien avec son jardin dégringolant dans la Méditerranée, fut pendant un demi-siècle la résidence des ambassadeurs de l'Oncle Sam en Israël. Jusqu'à ce que Donald Trump décide de déménager son ambassade à Jérusalem en 2018, rompant avec le consensus international, pour le plus grand plaisir de Benyamin Nétanyahou et des évangéliques des megachurches.

Dès sa nomination, David Friedman, l'envoyé trumpiste en Terre Sainte, avait boudé cette demeure, dont on dit la déco un peu ringarde, très Mad Men. Cet ancien avocat d'affaires, intime du Président (avant son élection, il était celui qui négociait ses banqueroutes) et mécène de longue date des colons en Cisjordanie, a de toute façon toujours préféré la biblique Jérusalem à Tel-Aviv l'athée.

Voilà comment le palace des diplomates américains, à 60 kilomètres de la nouvelle ambassade, est devenu superflu et s'est retrouvé sur le marché au creux de l'été. Le timing de la vente a interloqué et tiré une larme aux journalistes américains, se remémorant les tequilas sunrise qu'ils y avaient descendues en regardant la mer lors de mémorables 4 juillet. Surtout, le prix de vente prohibitif a largement réduit la liste des acquéreurs – le précédent record ayant été établi lors de l'achat d'un manoir voisin par Roman Abramovitch, le milliardaire russe, propriétaire du club de foot de Chelsea et première fortune du pays depuis son alyah précipitée par des problèmes de visa au Royaume-Uni.

Roi des machines à sous

La presse locale pense tenir le nom du nouveau proprio. Il ne serait autre que Sheldon Adelson, le roi des machines à sous, de Las Vegas à Macao, et bienfaiteur de la droite la plus nationaliste, aux Etats-Unis comme en Israël. L'homme à la fortune estimée aux alentours d'une trentaine de milliards de dollars est l'un des donateurs politiques les plus généreux (donc influents) du monde, ayant largement ouvert son portefeuille pour Trump comme pour Nétanyahou. Entre autres, Adelson engloutit chaque année des millions à perte dans Israel Hayom, gazette gratuite à fort tirage alignée sur l'agenda «bibiste».

Ainsi, selon le quotidien économique israélien Globe, tout cela sent le sur-mesure, de l'opacité des tractations à la procédure accélérée, pilotée depuis la Maison Blanche afin de clore l'affaire d'ici à la présidentielle américaine. Avec comme objectif de permettre à Adelson, supporter notoire du «Grand Israël» opposé à tout Etat palestinien, de rafler la villa, afin de cimenter le déménagement de l'ambassade en fait accompli irréversible, si jamais Joe Biden gagnait en novembre et était tenté de rapatrier son ambassadeur à Tel-Aviv.

Poussant son enquête, Globe a ensuite découvert que Friedman, ne disposant pas d'un appartement assez sécurisé pour en faire sa résidence officielle à Jérusalem, devrait conserver le manoir jusqu'au printemps. Mais plutôt que de décaler la vente, le gouvernement américain envisagerait de verser un loyer à Adelson d'ici là. Quitte à basculer dans l'absurde, voire le conflit d'intérêt.