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Libération
CHRONIQUE «TERRES PROMISES»

Sur le Golan, la vie est Druze

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Chaque mardi, instantanés d’Israël et de Palestine, à la découverte des bulles géographiques et mentales d’un territoire aussi petit que disputé. Aujourd’hui, Majdal Sham, «capitale» des Druzes syriens dans le Golan occupé.
Un rassemblement de Druzes près de la ligne de cessez-le-feu entre Israël et la Syrie dans le Golan occupé, le 6 octobre 2018. (Ammar Awad/Photo Ammar Awad. Reuters)
publié le 22 septembre 2020 à 10h55

C'était le temps des cerises dans le Golan. C'était avant le reconfinement en Israël, mais, pandémie oblige, les frontières étaient déjà bouclées, les cieux fermés. En quête de dépaysement, on avait roulé le plus au nord possible, s'élevant jusqu'à ce que les barbelés sortent de terre, 1 130 mètres au-dessus de la mer. La route s'arrête à Majdal Sham, à 60 kilomètres de Damas.

A flanc de collines, c'est la plus grande ville druze de ce plateau volcanique et stratégique, pris par Israël à la Syrie durant la guerre de Six Jours en 1967. Quelque 11 000 âmes y vivent dans des limbes diplomatico-administratives : la grande majorité d'entre eux sont des «non-citoyens», ayant refusé la nationalité israélienne collectivement au moment de l'annexion du territoire par l'Etat hébreu en 1981.

A l'opposé des Druzes de Galilée, qui servent fièrement dans Tsahal et se présentent aux élections sur des listes sionistes parfois très à droite, ces Druzes-là se sentent mentalement et géographiquement syriens.

Modus vivendi

Aux yeux de la communauté internationale (mais pas de Trump), le Golan est un territoire occupé. Mais l'ambiance n'a rien à voir avec la Cisjordanie. Bien moins tendue. Sauf quand Israël tente d'installer une urne à l'occasion des élections, le genre de truc qui peut se terminer par un lancer de grenade. Un modus vivendi s'est installé : il y a de l'espace pour tous. Les colons israéliens clairsemés, qui se la jouent gaucho, ont leurs élevages bovins, leurs gîtes et leurs clubs d'équitation où les Druzes vont inscrire leurs gosses, à côté des chalets à la mode alpine des bourgeois de Tel-Aviv.

Bien sûr, le souvenir des guerres n'est jamais loin. Sur la route, Tsahal a érigé de faux villages arabes pour s'entraîner à la guérilla urbaine en cas de nouvelle invasion du Liban. Quand les troufions sont en permission, ces décors sont le paradis des joueurs de paintball. Dans les bâtiments abandonnés de l'armée syrienne, les amateurs d'escape games rejouent les exploits de l'espion Eli Cohen, en espérant que ça finisse mieux pour eux que pour l'agent démasqué à Damas.

Colline des cris

Dans un bar de Majdal Shams, on descend des shots avec un photographe trentenaire du coin, dont le taf se résume souvent à immortaliser les bombardements des F-16 israéliens de l'autre côté de la frontière. Fidèle à sa doctrine de «tondre la pelouse», Tsahal envoie ses chasseurs pilonner convois et bases des miliciens chiites cherchant à faire la jonction avec le Liban.

On parle de la fameuse Colline des cris, où les familles séparées par la frontière se sont parlé par mégaphones durant des décennies. Souvenir folklorique, un peu comme les Druzes tradi à moustache et bonnet à pompon : «Maintenant, il y a WhatsApp…» L'attachement à la Syrie ? «La plupart d'entre nous avons étudié à Damas, la plus belle ville du monde ! Mais t'as vu la Syrie d'aujourd'hui ? Ça ne fait plus rêver…» Sa femme, elle, rêve de visiter Disneyland Paris. Pour ça, mieux vaut un laissez-passer, voire un passeport, israélien.

Cependant, ici, on fait gaffe à ce qu'on dit et fait : il y a toujours de l'écho entre Majdal Sham, qui reste un bastion pro-Assad, et la Syrie. Si un étudiant du cru se prend à crier trop fort «Mort à Bachar», les moukhabarats syriens, informés par des indics locaux, se chargeront de rendre visite à ses oncles de l'autre côté de la ligne d'armistice. «Mais tu sais, l'ennemi historique de Majdal Shams, c'est Paris», rigole le photographe en montrant la statue belliqueuse du sultan Al-Atrach, au centre de la ville. On vénère toujours cet impressionnant guerrier qui a bouté du coin les Français à coups de sabre dans les années 1920. C'est un cliché, mais oui, l'Orient est compliqué, et il a de la mémoire.