Seize mois après les élections législatives de mai 2019, la Belgique a enfin un gouvernement fédéral. Il sera dirigé par le libéral flamand Alexander De Croo, 44 ans, fils de Herman De Croo, un crocodile de la politique belge. Il devait être investi jeudi par une confortable majorité au Parlement belge. A noter, la nomination de l’eurodéputée écologiste Petra De Sutter, première ministre transgenre en Europe, au portefeuille de la Fonction publique. Elle devient également vice-Première ministre.
C’est la fin d’une très longue crise qui a, en réalité, débuté en décembre 2018 à la chute du gouvernement du libéral francophone Charles Michel. Les indépendantistes flamands de la N-VA, premier parti de Flandre (la région compte 6,6 millions d’habitants sur les 11,5 millions du royaume) et principale formation de la coalition au pouvoir, venaient de claquer la porte. La Belgique a donc battu cette année son propre record sans gouvernement, l’intérim de 2010-2011 ayant duré «seulement» 589 jours… Ce qui ne veut pas dire que le pays n’a pas été géré durant cette période, puisqu’une grande partie des compétences est dévolue au niveau régional (Flandre, Wallonie, Bruxelles), communautaire (francophone et germanophone, d’une part, néerlandophone d’autre part) et communal. Les Belges, un rien blasés après l’expérience de 2010, ne se sont guère montrés intéressés par cette interminable saga…
Ce long intérim s’explique par la structure politique et linguistique du Royaume : le Nord néerlandophone vote de plus en plus pour des partis indépendantistes de droite (N-VA) et d’extrême droite (Vlaams Belang), alors que le Sud porte de plus en plus ses suffrages vers la gauche, l’extrême gauche et les écologistes, tous attachés à l’unité de la Belgique… Il faut savoir que les partis sont scindés par groupes linguistiques : en clair, un Wallon ne peut voter pour un parti flamand et un Flamand ne peut voter pour un parti wallon (sauf à Bruxelles, ville bilingue). Le paysage politique est éclaté entre deux démocraties fonctionnant de façon quasi autonome depuis une trentaine d’années. Former une majorité revient donc à essayer de concilier l’eau et le feu, et l’exercice est à chaque fois plus complexe.
L’attelage fédéral qui se met en place ne pouvait donc qu’être baroque. Il est composé de sept partis - un record dans l’histoire du pays - que tout sépare : PS (francophone) et SPA (néerlandophone), libéraux du MR (francophone) et de l’Open VLD (néerlandophone), chrétiens-démocrates flamands (CD & V), verts d’Ecolo (francophone) et de Groen (néerlandophone). Tous ensemble, ils disposent d’une confortable majorité parlementaire avec 88 sièges sur 150, mais beaucoup doutent que cela suffise à tenir jusqu’en 2024, date des prochaines élections générales.
D’autant que le gouvernement De Croo devra gérer la crise post-Covid et la surenchère nationaliste du N-VA.