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Libération
Récit

Conflit au Haut-Karabakh : derrière Bakou, Erdogan plastronne

Soutien inconditionnel de l’Azerbaïdjan, la Turquie profite du conflit pour se rendre incontournable dans le Caucase, envoyant sur le terrain des combattants jihadistes venus de Syrie.
Tsovinar, 25 ans, sa mère et ses trois enfants, attendant leur évacuation vers Erevan, vendredi. (Photo Adrien Vautier. Le Scriptorium pour Libération)
publié le 2 octobre 2020 à 20h56

Dans le conflit au Haut-Karabakh, l'engagement inconditionnel et bruyant de la Turquie au côté de l'Azerbaïdjan ne passe pas. C'est par la voix d'Emmanuel Macron, dont les rapports avec Recep Tayyip Erdogan sont exécrables, que la critique est venue jeudi soir, en marge du sommet européen de Bruxelles. «Selon nos propres renseignements, 300 combattants ont quitté la Syrie pour rejoindre Bakou en passant par [la ville turque de] Gaziantep», a déclaré le président français. Selon lui, ils appartiendraient à des groupes jihadistes. «Une ligne rouge est franchie, […] c'est inacceptable», a-t-il ajouté, demandant à Ankara des explications. Jusqu'à présent, le gouvernement turc n'a pas officiellement réagi à ces accusations.

Mercenaires

«L'emploi de mercenaires remonte au début des années 2010, lorsque la Turquie, avec les Etats-Unis et les Européens, a entraîné des groupes contre le régime syrien», rappelle Sinan Ülgen, un ancien diplomate, président du think tank Edam, à Istanbul. A mesure que les puissances occidentales ont cessé leur soutien à la rébellion syrienne, Ankara a continué la formation de ces groupes et a su les utiliser sur d'autres terrains. Dans le cas du conflit en Libye, les autorités turques avaient commencé par nier l'envoi de combattants syriens. Ils sont aujourd'hui plusieurs milliers déployés sur la rive sud de la Méditerranée. L'emploi de mercenaires n'est pas nouveau. D'autres puissances ont aussi recours à des contracteurs privés tels Academi (ex-Blackwater) aux Etats-Unis ou le groupe Wagner en Russie. Jeudi, Erdogan a rejeté les appels à un cessez-le-feu, affirmant que «les occupants [arméniens] doivent partir de ces terres pour qu'il y ait une solution» et taclant au passage la communauté internationale qui s'est montrée incapable, selon lui, de trouver une solution à ce conflit vieux de trente-deux ans.

Drones

Mais ce bellicisme d'Ankara ne doit pas être réinterprété comme une «reconquête ottomane» ou une «guerre de civilisations». «Il ne faudra pas croire que la Turquie fait au Karabakh la même chose qu'en Libye et en Syrie», souligne Zaur Shiriyev, analyste pour l'International Crisis Group. Il rappelle que l'implication d'Ankara dans le conflit s'inscrit dans le cadre d'un accord militaire signé avec Bakou en 2010. Lequel se traduit par une aide turque à la modernisation de l'armée azerbaïdjanaise qui a pris de l'ampleur ces derniers mois. Durant l'été, Turcs et Azéris ont mené des manœuvres militaires conjointes. Elles faisaient suite à des affrontements qui ont eu lieu fin juillet sur la frontière arménienne. «Il se peut aussi que dans ce conflit des drones turcs TB2 soient utilisés par l'Azerbaïdjan sous supervision turque», reprend Sinan Ülgen. Ces drones, qui étrillent la guérilla kurde du PKK en Irak, se sont révélés efficaces pour renverser les rapports de forces en Syrie et en Libye. «Lors du précédent conflit au Haut-Karabakh en 2016, la Turquie n'avait pas d'armements sophistiqués comme ces drones à fournir à Bakou», note Zaur Shiriyev.

L'activisme turc s'inscrit aussi dans la reconfiguration des équilibres dans la région. «Ce qui est sous-jacent, c'est que la Turquie et la Russie sont les seuls pays qui ont su tirer profit des changements géopolitiques et du désengagement des acteurs traditionnels, dont les Etats-Unis», explique Sinan Ülgen.