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Boycott antifrançais : la Turquie au rayon surenchère

Après ses attaques outrancières contre Emmanuel Macron, Erdogan a appelé sa population à ne pas acheter les produits de l’Hexagone. Une rhétorique provocatrice s’inscrivant dans un bras de fer avec Paris qui dure depuis plusieurs mois.
Des linéaires vidés de leurs produits français, à Koweït City, le 25 octobre. (Photo Ahmed Hagagy. Reuters)
publié le 26 octobre 2020 à 20h41

Le président turc, Recep Tayyip Erdogan, n'est ni un sultan ni un calife. C'est un opportuniste qui a fait de la polarisation son arme politique de prédilection. Son affrontement avec Emmanuel Macron n'échappe pas à la règle. Après avoir questionné à deux reprises la santé mentale de ce dernier, le chef de l'Etat turc a rejoint lundi les nombreuses voix qui, à travers la région, appellent au boycott des produits français. «De la même façon qu'ils disent "n'achetez pas de marques turques" en France, j'appelle mes citoyens à ne pas aider les marques françaises ou à ne pas les acheter», a-t-il déclaré.

«Est-ce qu'Emine Erdogan arrêtera d'arborer son sac Hermès ?» s'enquiert alors un journaliste de gauche un brin ennuyé par la controverse. Il fait référence aux critiques adressées à la femme du Président pour avoir affiché son goût du luxe en pleine crise économique. Le journaliste, souhaitant garder l'anonymat, continue plus sérieusement. «Ces appels aux musulmans et au boycott sont de la démagogie pure, dit-il. Les Européens n'ont toujours pas compris qu'Erdogan cherche le conflit en permanence et qu'ils sont sa cible la plus facile et évidente.»

Réputation très surfaite

Aux yeux du chef de l'Etat turc et de ses alliés d'extrême droite, Macron est une cible facile. Dénoncer l'islamophobie du gouvernement français et s'alarmer de la montée fulgurante du racisme dans l'espace public en France permet de rehausser à peu de frais la réputation très surfaite d'Erdogan comme défenseur de l'islam. Pourtant, pour l'instant, les foules conspuant Paris - et oubliant au passage la longue tradition satirique turque, parfois très laïcarde - ne rassemblent que quelques centaines de personnes. Seuls les organes de propagande et les convaincus s'acharnent.

Dans ce dialogue de sourds ponctué d'invectives, difficile de discerner les objectifs du président turc. Ses prises de position sur la défense de l'islam sonnent d'autant plus faux que sa révolution conservatrice a échoué. Son parti n'a de cesse, depuis sa création il y a deux décennies, de siphonner les programmes et les idées des autres. Il n'a pas su ou pu imposer une patte idéologique islamiste au pays. Lui-même l'a reconnu la semaine dernière en déclarant que «nous n'avons pas réussi à faire avancer nos idées [dans l'éducation et la culture, ndlr]».

Crise économique

Toutefois, les prises de parole violentes et répétées du président turc sont autant de façons d'amener ses opposants sur un terrain d'affrontement de son choix. Fini la stratégie de l'évitement telle que prônée par l'opposition, notamment par le maire d'Istanbul, Ekrem Imamoglu, l'an dernier. Le débat se radicalise. Les plus modérés sont rendus inaudibles, comme les demandes des classes populaires, touchées de plein fouet par la crise économique. En meeting dans un bourg d'Anatolie lundi, Erdogan a répliqué à des ouvriers lui disant qu'ils ne pouvaient plus se payer de pain : «Cela me semble une exagération. Tenez, profitez de ce thé», a conclu le raïs en distribuant des paquets d'herbes.