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Libération
Effet colatéral

En Australie, le Covid entame la cohésion nationale

Même si le pays semble avoir bien géré sa seconde vague de coronavirus, la pandémie a fragilisé l'unité des Australiens et révélé des failles et des tensions entre communautés et entre des régions aux protocoles divergents.
A Melbourne, ce mercredi. La ville émerge peu à peu après plusieurs mois de confinement. (Asanka Brendon Ratnayake/Photo Asanka Brendon Ratnayake. AP)
publié le 28 octobre 2020 à 19h08

Alors que la seconde vague de Covid-19 semble être enrayée en Australie, la pandémie a toutefois brutalement mis à mal l'unité du pays. Depuis le début de l'année, les Etats ont en effet adopté des stratégies propres, au risque de créer des tensions au sein de leurs communautés mais aussi entre eux. «Nous surmonterons ça ensemble», avait déclaré le Premier ministre, Scott Morrison, en mars, un message qui a eu du mal passer.

Dans tout le pays, les Chinois ont d’abord été montrés du doigt, victimes de boycott, de vandalisme et d’agressions diverses. A Melbourne, à l’orée de la seconde vague en juillet, les 3 000 habitants de neuf tours de logement sociaux, d’origine africaine pour la plupart, ont ensuite été mis à l’index par un confinement surprise d’une dureté inégalée.

«Bravo Melbourne»

Le virus n'étant plus à un bouc émissaire près, mardi encore, ce sont les habitants de l'Etat du Victoria qui se demandaient s'ils seraient bien accueillis dans les Etats voisins, le jour où ces derniers rouvriraient leurs frontières. De fait, si les «Merci Victoria» et «Bravo Melbourne» affluent désormais sur Twitter pour fêter la bataille gagnée contre le Covid-19 après plus de cent jours de confinement strict de la métropole, l'Etat n'oublie pas qu'il a un temps été stigmatisé.

En juillet, après avoir fermé leur frontière commune, la Nouvelle-Galles du Sud avait intimé à sa population de «ne pas interagir avec les citoyens de Melbourne». Le Parti travailliste du Queensland avait exprimé sa peur d'être «submergé» par les habitants du Victoria. Quant à l'Australie méridionale, elle ressortait un slogan publicitaire sportif «Kick a Vic» appelant à donner un coup de pied dans les derrières victoriens. Aujourd'hui la tempête est passée, mais aucun Etat australien n'accueillera immédiatement les ressortissants du Victoria, malgré les pressions de Morrison, impatient de relancer l'économie.

Le Premier ministre australien, Scott Morrison, en septembre.

Photo AP

«Les Etats bénéficient de prérogatives proches de celles d’un pays indépendant»

Le système politique du pays explique en partie ces frictions inter-Etats. «Si le gouvernement fédéral lève les impôts et distribue l'argent, explique Marija Taflaga, directrice du Centre d'études politiques australiennes à l'Université nationale australienne (ANU), ce sont les Etats qui ont la main sur l'éducation ou la santé. Durant la pandémie, ils ont donc eu une liberté et un pouvoir de décision énorme.» Chacun a ainsi pu gérer ses frontières à sa guise, imposant sa propre feuille de route à sa population, selon des intérêts locaux ou même électoraux.

L'Australie occidentale refuse par exemple d'ouvrir ses frontières tant que le virus circule encore dans le pays. Ce qui pourrait prendre des mois, voire des années. «Cet Etat a toujours eu des tendances sécessionnistes, affirme le géographe Andrew Burridge à Libération. Il profite en outre d'un statut avantageux au sein du Commonwealth et d'une autonomie qui repose sur l'exploitation minière.» Il fait donc bande à part, quand les autres états, eux, s'ouvriront à Noël – date ardûment négociée par le gouvernement fédéral.

Natanael Bloch, ancien conseiller politique et consultant auprès d'entreprises à Melbourne, n'est pas étonné. «La pandémie a montré les limites d'un système où les Etats fédérés bénéficient de prérogatives proches de celles d'un pays indépendant.» En clair, le gouvernement Morrison n'a jamais pu imposer ses convictions – largement tournées vers une économie ouverte – et montrer qu'il était seul capitaine à bord. La pandémie aura donc mis en exergue la nécessité de réformes à venir.

«Un grand sens de la communauté»

En attendant, la désunion n'a pas empêché chaque Australien de faire sa part. «Il est évident que la pression et le stress ont été supportés différemment selon les Etats, explique le docteur en psychologie, Alex Haslam, mais j'ai observé un grand sens de la communauté et, plus généralement, l'expression d'une forte solidarité.»

Les chiffres qu'il a récoltés montrent notamment un taux d'adhésion aux restrictions à plus de 90% en Australie contre 20% en Angleterre ou aux Etats-Unis. «Nous avons été capables de nous plier à des règles dures au profit d'un bien supérieur, explique-t-il, et cela a payé.» Le pays n'a recensé que quatorze nouveaux cas dans les dernières vingt-quatre heures pour 907 morts au total.