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Libération
Reportage

«Le Texas pourrait basculer» : aux Etats-Unis, le vote anticipé fait rêver les démocrates

Parmi les Etats les plus abstentionnistes en 2016, le Texas caracole cette année en tête du vote anticipé. De quoi nourrir les espoirs démocrates de remporter la victoire dans le plus grand bastion républicain des Etats-Unis.
Une queue pour voter à Houston, au Texas, le 13 octobre. (Photo Go Nakamura. REUTERS)
par Thomas Harms, correspondant à Houston (Texas)
publié le 30 octobre 2020 à 16h29

Il est 23h30 ce jeudi soir, il fait nuit noire et Sindhuja se réchauffe les mains devant sa voiture en compagnie de sa mère. Elles viennent de voter. «Ma mère a vu ça aux infos. On voulait éviter la foule, ou d’avoir à faire la queue à cause du coronavirus». Elles n’étaient pas sûres d’avoir le droit de voter par correspondance, alors quand elles ont appris que le responsable des élections de la ville, Christopher Hollins, avait ordonné de laisser huit bureaux de vote ouverts de jeudi matin à vendredi soir non-stop, elles ont sauté sur l’occasion. D’origine indienne, elles ont été naturalisées il y a 10 ans. «C’est probablement la plus importante élection de notre vie, donc on est venue en famille.»

Selon la moyenne des sondages tenue par le site RealClearPolitics, Donald Trump n'est plus en tête au Texas que de 2,3 points, après un net resserrement ces derniers jours. Il l'avait emporté de 9 points en 2016, une marge déjà plus faible que celle de Mitt Romney face à Barack Obama quatre ans plus tôt (+15 points), et surtout George W. Bush, l'enfant du pays, qui avait devancé John Kerry de 23 points en 2004.

«Vague bleue»

Scrutin après scrutin, les résultats le confirment : l'érosion républicaine dans le «Lone Star State» est réelle. Lors des élections de mi-mandat en 2018, le jeune congressman démocrate Beto O'Rourke avait donné des sueurs froides au sénateur sortant Ted Cruz, finalement réélu avec 2,6 points d'avance. Cette année, les démocrates espèrent davantage : ils misent sur une énorme participation, «une vague bleue» qui ferait basculer dans leur escarcelle le deuxième Etat le plus peuplé du pays, et le plus gros bastion des républicains.

Devant le bureau de vote installé dans l'église de Victory Houston, la file d'attente n'atteint certes pas la longueur observée en pleine journée. Mais le flux de pick-up qui arrivent, se garent puis repartent, est continu. Signe que ce vote nocturne, mis en place pour la première fois par le comté de Harris, répond aux besoins de certains électeurs. «C'est vraiment difficile de voter en journée, j'ai deux boulots de nuit : infirmier et pompier, explique Richard, vêtu d'un tee-shirt Star Wars. La journée, je dors. Mais je cherchais un moyen de voter avant le 3 novembre».

Il est loin d’être le seul : au Texas, plus de 9 millions de personnes ont déjà voté, selon le décompte du US Elections Project. Soit 100,4% du nombre total d’il y a quatre ans, alors qu’il reste encore une journée de vote anticipé (ce vendredi) puis le jour officiel du scrutin, mardi. A Houston, le nombre de votants a d’ores et déjà atteint un record historique.

Certains n'hésitent pas à faire des heures de route. Peu avant minuit, Bill sort du bureau de vote en short et tee-shirt, malgré les dix degrés extérieurs. «Je suis allé chercher ma fille qui étudie à Bâton Rouge en Louisiane. On est venu directement au bureau de vote». Demain matin, ils feront les quatre heures de trajet retour.

Contre-attaque

La participation est bien l’enjeu majeur de cette élection, et à Houston en particulier. En pleine pandémie de Covid-19, les démocrates qui dirigent la plus grande ville texane ont innové pour faciliter le vote : boîtes aux lettres dédiées pour déposer les bulletins par correspondance, obligation de porter un masque lors de l’élection, extension des horaires des bureaux de vote, possibilité de voter depuis sa voiture…

Sur tous ces points, les républicains ont contre-attaqué en justice et ils ont presque tout le temps gagné. Leur dernière bataille : faire invalider la centaine de milliers de bulletins exprimés par des électeurs depuis leur véhicule. Selon Abhi Rahman, directeur de la communication du Parti démocrate du Texas, ces républicains «sont une honte pour le Texas et les Etats-Unis. Ils ont vraiment peur de perdre cette élection.»

Ce serait une première depuis 44 ans. Et cela sonnerait le glas des espoirs de réélection du président. Steve Munisteri, l'ancien chef du Parti républicain du Texas, explique : «Si Donald Trump conserve tous les Etats qu'il a gagnés en 2016 mais qu'il perd le Texas, Joe Biden devient Président.» Le Texas offre 38 grands électeurs. Pour être élu, il en faut 270. «Ce sera vraiment difficile pour les Républicains de gagner un jour la présidence s'ils perdent le Texas, car New York et la Californie sont acquis aux démocrates», ajoute Munisteri. A eux seuls, ces trois Etats offrent 122 grands électeurs.

Les démocrates ne s'y trompent pas. Ce vendredi, la colistière de Joe Biden, Kamala Harris, fait une tournée dans le Lone Star State, plus grand que la France métropolitaine. Elle se rend à McAllen à la frontière avec le Mexique, pour mobiliser l'électorat latino, mais aussi à Fort Worth dans la banlieue de Dallas, et à Houston. Pour un candidat démocrate, venir au Texas ne va pas de soi, surtout à quelques jours de l'élection, où les campagnes mettent généralement l'accent sur les fameux swing states. Signe que cette année, le camp Biden espère mettre fin à près d'un demi-siècle de défaite.

Kyle et Nancy se marient dans deux jours. Ils ont découvert jeudi matin, en écoutant les infos, que le vote de nuit était possible. C'était, assurent-ils, leur seul créneau : «On est super content, cette année le vote est plus important que jamais parce que le Texas pourrait basculer du côté démocrate. On pourra dire qu'on y a contribué».