Marisela Escobedo. Le nom de cette mère, qui a payé de sa vie son combat acharné pour la justice après le meurtre de sa fille Rubí en 2008, est régulièrement scandé au Mexique lors des manifestations contre les féminicides. Les jeunes Mexicaines ont repris le flambeau de sa lutte. Certaines sont tellement jeunes qu’elles n’ont pas vu, à l’époque, les images de son assassinat : une balle dans la tête sous l’objectif des caméras du palais du gouverneur de l’Etat de Chihuahua, où Marisela Escobedo manifestait tous les soirs. Des images qui font encore tressaillir.
Dix ans après les faits, le documentaire «les Trois Morts de Marisela Escobedo», une production de Netflix, revient sur la trajectoire exceptionnelle de cette femme à la détermination inébranlable. Le film reconstruit l'escalade insoutenable d'injustice et d'impunité dans laquelle Escobedo a été entraînée, jusqu'à sa mort. Le documentaire s'ouvre sur une phrase prémonitoire prononcée par cette infirmière, mère de cinq enfants, peu avant son exécution : «Je n'ai plus peur de rien, ni de la mort.» L'histoire se déroule à Ciudad Juárez, ville accoutumée aux disparitions et meurtres de femmes depuis les années 90. Marisela cherche sa fille, Rubí, 16 ans. La mère et son fils mènent l'enquête, traquent à travers le pays et débusquent l'ex-compagnon de Rubí, qu'un témoignage accable. Arrêté, l'homme mène la police à la décharge où il a brûlé le corps de Rubí. Lors de son procès, il demande pardon à Escobedo. Rien n'y fait : trois juges l'acquittent. Marisela quitte le tribunal en hurlant de douleur sous leurs regards niais.
«S’il veut me tuer, qu’il le fasse ici, devant le siège du pouvoir»
Les images de Ciudad Juárez au crépuscule sont désolantes. La colère monte. Escobedo marche, inlassablement, dans les rues de la ville, avec prestance et dignité : elle avance nue, vêtue seulement du portrait de sa fille et d'un chapeau noir. L'acquittement du meurtrier est annulé par la justice, mais il est en cavale. Le bourreau de Rubí a intégré les filets d'un puissant groupe criminel, les Zetas, et les policiers expliquent à la famille qu'une éventuelle arrestation doit obtenir leur aval. En 2010, Marisela Escobedo entame des sittings devant le palais du gouverneur de l'Etat de Chihuahua, César Duarte, qui se montre irrité par les interpellations publiques de cette mère. Elle reçoit des menaces de mort du meurtrier de Rubí. «S'il veut me tuer, qu'il le fasse ici, devant le siège du pouvoir», dit-elle. Le 16 décembre 2010, le présage devient réalité. La police, jamais à ses côtés jusqu'alors, escorte sa dépouille jusqu'à Ciudad Juárez. Le meurtrier de Rubí est par la suite tué dans un affrontement avec les militaires. Pour le gouverneur, qui se frotte les mains, les deux affaires sont classées d'un coup.
Au Mexique, la figure de la mère est exaltée, vénérée. Le 12 décembre, des milliers de fidèles rendront hommage à la mère suprême, la patronne de l’Amérique latine, la Vierge de Guadalupe. Mais ces mères en colère, qui parlent de leurs filles assassinées, sont des mères gênantes, criardes, pour le pouvoir. Elles dérangent même le président mexicain, Andrés Manuel López Obrador, qui refuse, à ce jour, de les recevoir.