Menu
Libération
Reportage

En Biélorussie, Loukachenko durcit encore le ton

Les forces de sécurité ont immédiatement et violemment dispersé la «Marche contre la terreur» dimanche, cassant le défilé commémoratif qui aurait servi de thermomètre à la mobilisation antirégime.
Manifestation de l'opposition à Loukachenko, à Minsk dimanche. (Photo AP)
par Ania Nowak, Envoyée spéciale à Minsk
publié le 2 novembre 2020 à 7h02

Cinq minutes. C’est le temps qu’il aura fallu aux forces de l’ordre pour attaquer la «Marche contre la terreur» organisée ce dimanche à Minsk en direction de la forêt de Kourapaty, où des dizaines de milliers de personnes ont été exécutées à la fin des années 30. Niveau symbole, difficile de faire plus clair pour le régime d’Alexandre Loukachenko ; le président avait prévenu vendredi : «Ça suffit maintenant, nous ne reculerons pas !»

Devant le parc Čaliuskincaŭ, à 14 heures, ce n'est pas la foule des grands jours sous le ciel gris de la Toussaint et la surveillance étroite de la milice comme de la police. Dès les premiers coups de feu tirés en l'air, il y a ceux qui crient «Omon !» (les forces spéciales de la police) et ceux qui conseillent «Du calme !». Ceux qui se ruent, fourrant leur drapeau blanc-rouge-blanc dans leur poche, vers les arrière-cours des grands immeubles qui longent l'avenue, espérant trouver une issue. Certains reviennent, d'autres pas. Jusqu'à la fin de la manifestation, des colonnes de bus et de camions chargés de siloviki (membres des services de sécurité) ont remonté l'avenue de l'Indépendance en direction de la forêt de Kourapaty pour disperser la foule à coups de grenades, balles de caoutchouc et de paintball.

Pression du premier jour

«Des groupes des forces de l'ordre ont essayé de terrifier la population, mais il n'y avait aucune logique, aucune coordination derrière cette répression aveugle, raconte à Libération Franak Viacorka, ancien journaliste et actuel conseiller de Svetlana Tikhanovskaïa, la cheffe de file de l'opposition. Les gens essayaient simplement de se rendre sur un lieu de mémoire depuis le centre de la capitale, je ne crois pas qu'ils avaient prévu de renverser un dictateur… Je pense qu'aujourd'hui nous avons assisté aux débuts du nouveau ministre de l'Intérieur, Il a essayé de se montrer encore plus cruel, encore plus terrifiant et encore plus loyal envers Loukachenko que son prédécesseur.» Nommé cette semaine, Ivan Kubrakov, qui a commencé sa carrière comme simple agent avant de diriger la police de Minsk, a dû ressentir une certaine pression pour son premier jour : il doit assurer «la stabilité dans le pays et le bien-être [du] peuple», selon Alexandre Loukachenko.

Lors de la marche de dimanche, à Minsk.

Photo AP

Une semaine après la manifestation géante et la grève générale qui ont suivi l'expiration de l'ultimatum que lui a lancé Svetlana Tikhanovaskaïa, le Président a entrepris de faire le ménage. Des dizaines de commerces, principalement des bars et des restaurants, ont été fermés pour trois mois, punis pour avoir participé à la grève. Des étudiants – et leurs professeurs – qui ont exprimé leur opposition au régime ont été expulsés de l'université publique. Des ouvriers des usines d'Etat ont été licenciés. Et, sans prévenir, toutes les frontières terrestres ont été fermées, y compris aux ressortissants biélorusses, mardi.

Applaudimètre officieux

Paradoxalement, l’impressionnant déploiement policier de ce week-end a eu moins de conséquences que le soir de l’ultimatum, le 25 octobre, où, après un défilé monstre, 500 personnes avaient été arrêtées. Dimanche, 200 interpellations, dont celles de plusieurs journalistes, ont été signalées. En début de soirée, seules quelques centaines (ou quelques milliers, selon les sources) de manifestants ont finalement réussi à atteindre la forêt de Kourapaty.

L’opposition a donc été privée de son rendez-vous le plus important, puisque cette manifestation dominicale – la douzième depuis la réélection contestée d’Alexandre Loukachenko à la présidence – sert d’applaudimètre officieux à Svetlana Tikhanovskaïa. Jusqu’à présent, la mobilisation était stable, environ 100 000 personnes tous les dimanches, rien qu’à Minsk. Et les photographies de foule dense devaient prouver au monde entier – et à Alexandre Loukachenko – que les Biélorusses tenaient bon.