Un matin. Clair. Le ciel d’un bleu léger à 360 °, seulement griffé de trois immenses plumes de haute altitude dont les bords chatoient de reflets arc-en-ciel. Le soleil pâle, ses rayons obliques renvoient une lumière diffuse qui semble émaner de nulle part. L’horizon est soulevé d’une énorme et lente houle, comme la respiration de quelque monstre qui se serait assoupi sous la surface.
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Ce tableau à la Turner n'est que pour moi, seule à des centaines de kilomètres à la ronde. Il signe en une douceur inattendue ma première entrée dans les 40es Sud, ceux que l'on dit rugissants et qui sont plutôt ronronnants, ce matin. Je m'attarde à rester en phase avec ce calme qui, sans doute, ne durera pas. C'est à ce moment que je les vois. Deux immenses oiseaux, mes premiers albatros et c'est évidemment une correspondance fortuite entre leur présence et mon entrée dans ces latitudes mythiques. Ils se suivent, se cherchent, se perdent, se croisent sans jamais donner un seul coup d'aile. J'apprendrai, plus tard, qu'il leur suffit d'effleurer la surface des vagues pour y récupérer des micro-ascendances de vent portant. Pour le moment, ils me semblent tenir miraculeusement en l'air. Je ne résiste pas aux Suites pour violoncelle seul de Bach et les albatros paraissent entendre cette voix mélancolique et danser en caden