Menu
Libération
Justice

Kosovo : Hashim Thaçi de la présidence à la case prison

Le procès de l’ancien chef de l’Etat s’est ouvert lundi à La Haye devant les Chambres spéciales pour le Kosovo. L’ex-combattant de l’UCK est poursuivi pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité, des actes qui auraient été commis entre 1998 et 1999.
L'ex-président du Kosovo, Hashim Thaçi, à Pristina, le 5 novembre. (ARMEND NIMANI/Photo Armend Nimani. AFP)
publié le 10 novembre 2020 à 15h18

Il s’est livré à la justice, après avoir démissionné. Hashim Thaçi, l’ex-président du Kosovo, qui comparait depuis lundi devant un tribunal spécial à La Haye, a plaidé non-coupable des charges de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité. «L’acte d’accusation est totalement dénué de fondement», a-t-il déclaré devant les juges.

Les Chambres spéciales pour le Kosovo (CSK), devant lesquelles il se présente, sont chargées de faire la lumière sur les agissements de la guérilla albanaise entre avril 1998 et août 1999, pendant la guerre du Kosovo. Hashim Thaçi était alors à la tête de la branche politique de l’Armée de libération du Kosovo («Ushtria Çlirimtare e Kosovës», UÇK en albanais), principale organisation paramilitaire albanaise luttant contre les forces serbes de Slobodan Milosevic pour l’indépendance.

Hashim Thaçi, 52 ans, avait annoncé sa démission de la présidence du Kosovo jeudi, après la confirmation de son inculpation par la justice locale. Sa mise en accusation pour meurtres, disparitions, persécutions et tortures, avait été rendue publique en juin par les Chambres spéciales pour le Kosovo. Ces institutions judiciaires kosovares fonctionnent depuis cinq ans selon un système hybride : composées de juges internationaux, leur siège est situé au Pays-Bas et leur financement est principalement assuré par l'Union européenne. L'inculpation annoncée en juin devait donc être confirmée par la justice kosovare pour être officielle.

«Implication dans les histoires les plus sombres du conflit»

Quelques heures après sa démission, Thaçi a quitté le Kosovo pour La Haye, où il a été placé en détention. Avec lui, trois autres hommes ont été transférés vers les Pays-Bas : Kadri Veseli, ex-patron du renseignement de l’UÇK, Jakup Krasnigi, ancien porte-parole de l’organisation, et Rexhep Selimi, qui a combattu dans la guérilla.

«L'arrestation de Thaçi n'est pas une surprise car son implication dans les histoires les plus sombres du conflit est discutée depuis 1999 parmi le personnel international, analyse Nathalie Duclos, maîtresse de conférences en science politique et spécialiste des situations post-conflictuelles. Mais c'est vrai que pendant longtemps il n'a pas été inquiété car on considérait qu'il était un acteur clé dans la stabilisation du pays après la guerre.»

A la fin de la guerre, en 1999, Hashim Thaçi lance sa carrière politique en prenant la tête du parti PDK (Parti démocratique du Kosovo), qui rassemble les anciens leaders de la guérilla de l’UCK. Il devient alors un interlocuteur clé pour les forces internationales qui administrent le territoire, notamment l’ONU et l’Union européenne.

Le 17 février 2008, c'est Thaçi, devenu Premier ministre, qui déclare l'indépendance du Kosovo. Elle sera reconnue par une centaine de pays comme les Etats-Unis ou la France, mais pas par la Serbie, qui se refuse toujours à admettre l'indépendance de son ancienne province. Depuis 2008, Hashim Thaçi a été tour à tour Premier ministre et ministre des Affaires étrangères avant d'être élu président de la République en 2016.

«Ce procès, c'est l'ouverture d'une nouvelle page pour le Kosovo», espère Sébastien Gricourt, directeur de l'Observatoire des Balkans de la Fondation Jean-Jaurès. Une étape qui s'annonce douloureuse. Le tribunal spécial travaille essentiellement sur les règlements de compte entre Kosovars.

Proximité avec Biden et Trump

L’Armée de libération du Kosovo est accusée d’avoir éliminé des Serbes et Roms mais aussi plusieurs de ses opposants politiques de la Ligue démocratique du Kosovo (LDK), mouvement non-violent engagé également pour l’indépendance de la province.

«Thaçi part comme un président qui n'est pas populaire. La population l'a vu partir sans réaction ou presque», poursuit Sébastien Gricourt. Ses derniers soutiens, il peut surtout les compter dans la jeune armée kosovare, instituée en 2018, qui a recruté largement dans les rangs de l'UÇK. Peu de chance cependant «que les militaires se soulèvent pour protéger Thaçi, d'autant qu'il s'est présenté de son plein gré à la justice», souligne Nathalie Duclos.

L'ancien chef d'Etat fait partie d'une vieille garde accrochée au pouvoir, qui a profité économiquement de la guerre. «Thaçi a également tout fait pour échapper à la justice internationale, en cultivant sa proximité avec les présidents américains, quelque que soit leur bord politique, et en se posant comme l'homme de la réconciliation avec la Serbie», expose Sébastien Gricourt, de l'Observatoire des Balkans.

Ainsi, Joe Biden a qualifié l’homme fort kosovar de «George Washington du Kosovo» en 2010. Ces dernières années, Thaçi a également joué la proximité avec Donald Trump. Il s’apprêtait à se rendre à la Maison Blanche en juin, quand les accusations de crimes de guerre portées par les CSK ont été rendues publiques. Thaçi espérait y signer un accord de reconnaissance mutuelle avec la Serbie, sous l’égide du milliardaire. Le sommet a finalement été annulé.