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Libération
Chronique «Les mots secouent»

«Дом Советов», la Maison des soviets mal aimée de Kaliningrad

Petit glossaire de la réalité russe à travers des mots qui n’ont pas toujours une traduction exacte, ni même d’équivalent, dans la réalité française.
La Maison des soviets de Kaliningrad, en Russie, le 29 octobre. (James Heintz/Photo James Heintz. AP)
publié le 18 novembre 2020 à 14h13

«Дом Советов» – la Maison des soviets. Parfois également appelé Dvoriets Soviétov ou «Palais des soviets». Maison ou palais, toute grande ville soviétique qui se respecte a le sien, ou a failli l’avoir. A Saint-Pétersbourg, Orenbourg, Novossibirsk, à Moscou, où un projet de Palais des soviets de 400 mètres de hauteur, surmonté d’une statue de Lénine de 100 mètres, a failli voir le jour… et même à Kaliningrad, l’ancienne Königsberg allemande, annexée à l’URSS en 1945 en même temps que tout le territoire de cette enclave russe coincée entre la Pologne, la Lituanie et la mer Baltique.

C’est un disgracieux bloc de béton de 21 étages, surnommé par les habitants «la tête de robot». Construit en 1970 à l’emplacement du château de Königsberg détruit pendant la guerre, il n’a jamais été achevé pour cause de chute de l’URSS. Laissé en plan en plein centre-ville, visible de partout, improbable, absurde, monstrueux, il écrase de sa masse la cathédrale toute proche.

Architecture «made in USSR»

Depuis les années 90, différents projets pour achever sa construction n’aboutissent pas. Trop chers, trop grands. Et puis, que diable faire d’une Maison des soviets à l’heure de la Fédération de Russie ? Tout au plus des vitres seront-elles posées à ses fenêtres vides, et sa façade recevra un coup de peinture fraîche pour sauver les apparences lors de l’anniversaire de la ville en 2005. Les appels à la démolir restent aussi lettre morte… jusqu’au début de ce mois. Le 5 novembre, Anton Alikhanov, gouverneur de l’oblast de Kaliningrad, a annoncé sa destruction, prévue pour 2021.

Sa liquidation sera la dernière en date d’une série de disparition de bâtiments datant de la fin de l’URSS, de style dit «moderne soviétique». Parmi les plus marquants, la tour de télévision de Ekaterinbourg, inachevée depuis 1986 et rasée en 2018, ou le cinéma Soloveï à Moscou, construit en 1989 et détruit début 2020. Trop récents, ils n’inspirent aux Russes aucune nostalgie, et leur architecture a terriblement mal vieilli, contrairement au style stalinien des années 1930 à 1950, de grands bâtiments néoclassiques en pierre beige auxquels tout le monde s’accorde aujourd’hui à trouver un incontestable cachet.

Quant à l'architecture d'avant-garde des années 20, elle a failli subir le même sort que le moderne soviétique. Mais depuis quelques années, celle-ci revient à la mode en Russie, dans la foulée d'une réappropriation de l'esthétique des artistes constructivistes. A Moscou et dans les grandes villes de Russie, il est devenu du dernier chic de se revendiquer amateur de ce style architectural «made in the USSR», qui inspira les créations de Le Corbusier. Comme un symbole, le bâtiment du Narkomfin, à Moscou, considéré comme l'un des chefs-d'œuvre de cette époque, a été récemment rénové de fond en comble pour devenir l'un des immeubles d'appartements les plus branchés (et les plus chers) de la capitale russe.

Sans doute, les années passant, le moderne soviétique reviendra-t-il aussi un jour à la mode. Mais pour le Dom Soviétov de Kaliningrad, il sera trop tard.