La tendance se confirme : malgré l’insécurité chronique qui y règne, le Mexique est devenu une terre d’asile pour les personnes qui fuient la violence en Amérique centrale. En octobre, le nombre de demandes déposées auprès de la Commission mexicaine d’aide aux réfugiés, l’organe fédéral chargé de l’asile, avoisine les chiffres enregistrés durant la période pré-pandémie. Plus de 4 500 personnes, en majorité des Centraméricains, mais aussi des Cubains, des Haïtiens et des Vénézuéliens, ont sollicité l’asile au Mexique en un mois. C’est davantage que le nombre total de demandes reçues durant toute l’année 2015. Le destin du Mexique comme pays d’accueil avait bondi en 2019 : 70 000 demandes.
Trois millions de sans papiers expulsés sous Obama
L’effet Trump ? Certes, les Etats-Unis se sont fermés aux migrants sous l’impulsion du président républicain. Mais c’est aussi la conséquence d’une politique durable de transfert, des Etats-Unis vers le Mexique, des responsabilités en matière d’asile. Sous Bush et Obama, déjà… Durant les deux mandats du dernier président démocrate, plus de trois millions de sans-papiers ont été expulsés par les Etats-Unis sans possibilité d’accéder à l’asile. En majorité, il s’agissait de nouveaux arrivants centraméricains, interceptés sur la frontière, et non des résidents de longue date chassés par Trump. Mais les organisations civiles ont baptisé Obama «Deporter-in-chief» (l’expulseur en chef). Sa réforme migratoire visant à donner un statut légal à plus de onze millions d’immigrés, en majorité mexicains ? Un échec. Le projet n’a jamais été approuvé par le Congrès.
Caisson de décompression
Puis, il y a eu Trump, ses discours haineux et ses politiques de dissuasion sophistiquées. Le mur s’est allongé. Les familles qui parvenaient à franchir les frontières étaient divisées, les enfants séparés de leurs parents… Les conditions d’accès à l’asile et aux programmes de protection se sont restreintes. Les Centraméricains ont compris que leur sort était scellé : rester au Mexique. Et pour bien leur mettre cette idée en tête, l’administration Trump a imaginé une mesure, «Remain in Mexico» (rester au Mexique), permettant de renvoyer dans le pays voisin plus de 60 000 demandeurs d’asile qui attendent une résolution des tribunaux américains.
Les Centraméricains ont cessé de voir le Mexique comme un couloir de passage, qu’on s’empresse de traverser en filant vers le nord. Désormais, ils décrivent les Etats-Unis comme «hors de portée». Même si Joe Biden a promis de revenir à une politique plus humaine. Même s’il recycle la promesse de réforme migratoire, qu’il parle de paralyser la construction du mur ou de flexibiliser l’asile… Les portes des Etats-Unis ne vont pas, subitement, s’ouvrir de part en part. L’arrivée d’un autre démocrate ne devrait pas renverser radicalement une tendance qui s’est déjà raffermie : même si le Mexique offre des conditions d’accueil défaillantes, particulièrement en matière de sécurité ou de respect des droits humains, les Etats-Unis ont déjà fait de leur voisin l’antichambre de leur frontière sud, le caisson de décompression qui les libère de leurs responsabilités migratoires et humanitaires.