A la veille de la manifestation ce mercredi à Mexico – journée internationale pour l’élimination des violences à l’égard des femmes –, les mouvements féministes ont exprimé leur rejet total de toute présence policière lors de cette mobilisation. Elles demandent aux autorités de s’abstenir d’envoyer les forces de sécurité, qu’elles accusent de participer à la violence endémique envers les femmes. Cancún en est la preuve, selon elles. Le 9 novembre, la répression d’une manifestation contre les féminicides dans la station balnéaire du sud-est du pays a montré que la violence exercée à l’encontre des femmes mexicaines pouvait être redondante quand la police a la gâchette légère.
Ce jour-là, des groupes féministes et des citoyens protestaient aux côtés des proches de victimes de féminicides devant l'hôtel de ville de la station balnéaire. La veille, le corps d'une femme de 20 ans, Alexis, portant des signes de violence, avait été découvert. La rage bouillonne, les murs de l'hôtel de ville sont tagués. «Subitement, on entend des rafales et un groupe de policiers surgit en brandissant des armes de gros calibres et ils nous pourchassent littéralement», relate une activiste de Cancún, Silvia Chuc, lors d'une conférence de presse virtuelle le lendemain.
«Rien de plus ironique et de plus choquant»
Les vidéos attestent de la brutalité, des rafales ininterrompues durant plusieurs minutes et de la fuite désespérée des manifestants. La plupart des tirs policiers visent le ciel. Mais cinq personnes sont blessées, dont deux par balles. Plusieurs femmes arrêtées lors de l’opération ont dénoncé avoir subi des abus sexuels aux mains des forces de l’ordre.
«Il n'y a rien de plus ironique et rien de plus de choquant que le spectacle récent de la police attaquant des femmes qui protestaient contre la violence et la mort auxquelles les femmes sont tous les jours confrontées au Mexique» : c'est en ces termes qu'un groupe d'experts des droits de l'homme des Nations Unies a réprimandé le Mexique le 20 novembre. «Le gouvernement mexicain a l'obligation de créer les conditions pour que les femmes puissent manifester en toute sécurité, sans crainte des représailles», sermonnent les experts.
«Nous venions accompagner la douleur des familles et voilà comment les autorités réagissent face à cette douleur, voilà leur façon de s'adresser aux victimes», s'indigne, par téléphone, Vanessa González-Rizzo, porte-parole du réseau d'organisations féministes du Quintana Roo. «Dans notre région, il y a des femmes qui disparaissent tous les jours, il y a des réseaux de traite tentaculaires, et Cancún est la ville mexicaine où l'indice de viols est le plus élevé, explique cette activiste. Nous sommes coincées entre les autorités qui nous répriment et les groupes du crime organisé qui sévissent impunément dans la région.»
En 2020, plus de 800 féminicides
Le lendemain des faits, une enquête sur la répression est ouverte par le bureau du procureur fédéral. Mais dans la capitale, un rassemblement de jeunes féministes est «encapsulé» par la police de Mexico : des centaines de femmes policières encerclent une poignée de manifestantes pour éviter que des monuments et bâtiments publics, déjà protégés par de hautes barrières métalliques, ne soient vandalisés. Les images, faisant état d’une évidente disproportion des techniques coercitives des forces de l’ordre, interpellent la société mexicaine.
Les mouvements féministes demandent donc à la police de s'abstenir de faire acte de présence à la marche de ce mercredi et dénoncent «la criminalisation des autorités à l'égard des femmes». Durant les dix premiers mois de 2020, plus de 3 000 meurtres de femmes ont été commis au Mexique, dont 801 classés comme féminicides. Les chiffres se maintiennent au même niveau record qu'en 2019.
La moitié des crimes non élucidés
En 2019 et 2020, un mouvement féministe jeune, virulent, créatif s’est articulé à travers le pays, maintenant vive la flamme de la protestation malgré les affres du Covid-19. Depuis deux mois et demi, un groupe de jeunes femmes occupe les bâtiments de la Commission nationale des droits de l’homme, une révolte radicale contre cet organe officiel, notamment chargé d’assister les proches des victimes de féminicides. Plus de la moitié de ces crimes restent non élucidés.
Au début de l’année, plusieurs féminicides ont eu un effet retentissant : celui d’Abril, une femme provenant d’un milieu aisé, celui d’Ingrid, jeune fille dont le corps dépecé par son compagnon a été exhibé en couverture des journaux, et celui d’une petite fille d’un quartier pauvre, torturée, violée et assassinée.
«Beaucoup de femmes se sont unies au mouvement quand elles ont compris qu'il n'y avait pas un stéréotype de victime. Elles se sont identifiées, elles ont compris que cela pouvait leur arriver aussi», explique Sara M. Cabello, de l'organisation universitaire Cuarta Ola («Quatrième vague»), qui a lancé en début d'année un large mouvement d'affichage de noms d'enseignants harceleurs sur les murs des centres d'enseignement à travers le pays. Selon cette leader féministe, «l'excès de protection des monuments et des bâtiments, combiné à l'absence de protection de la vie des femmes, est une forme de répression de la part de l'Etat».