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Libération
Récit

Tollé en Hongrie : un haut fonctionnaire compare George Soros à Hitler

Le directeur du Musée de la littérature et commissaire à la Culture Szilard Demeter a déclenché un scandale. Mais ses propos outranciers s'inscrivent dans le climat nationaliste entretenu par le gouvernement Orbán.
Le milliardaire américain d'origine hongroise George Soros, à Vienne, en Autriche, le 21 juin 2019. (GEORG HOCHMUTH/Photo Georg Hochmuth. AFP)
publié le 1er décembre 2020 à 17h47

Jamais un officiel du gouvernement Orbán n'avait suscité un tel tollé. Szilard Demeter, directeur du Musée de la littérature et commissaire à la Culture, a comparé le milliardaire George Soros à Hitler. «L'Europe est devenue la chambre à gaz de George Soros. […] George Soros est le Führer libéral», et les Polonais et les Hongrois «sont les nouveaux Juifs». Soros et ses alliés «visent à exclure les Polonais et les Hongrois de la dernière communauté politique où nous avons encore des droits», a-t-il estimé dans une tribune publiée samedi dernier par le portail progouvernemental Origo.hu.

Il faisait allusion à la dispute opposant actuellement la Hongrie et la Pologne à Bruxelles. Les eurodéputés ont récemment adopté un mécanisme qui priverait de fonds européens les pays ne respectant pas l’Etat de droit. Un mécanisme honni par Budapest et Varsovie, régulièrement épinglés par Bruxelles pour leur travail de sape des valeurs démocratiques, et qui tiennent leurs partenaires européens par la barbichette ; la semaine dernière, les gouvernements hongrois et polonais ont refusé de voter le budget pluriannuel et le plan de relance européens, et bloquent donc leur mise en œuvre.

Les propos du commissaire en ont indigné plus d'un. Une telle «relativisation de l'Holocauste est incompatible avec la politique de tolérance zéro du gouvernement en matière d'antisémitisme», s'est indignée la plus grande organisation juive de Hongrie, Mazsihisz. C'est un «abus de la mémoire de l'Holocauste. Il est impensable de relier le pire crime de l'histoire de l'humanité ou ceux qui l'ont commis à un débat politique contemporain, aussi important soit-il», a renchéri l'ambassade d'Israël en Hongrie, tandis que l'ambassade américaine appelait à la «tolérance zéro pour la relativisation de l'Holocauste».

Une centaine d’employés du musée a exprimé son dégoût

Dimanche, le commissaire culturel a retiré sa tribune et publié un message d’excuse. Mais les appels à sa démission se multiplient. Une pétition a recueilli 25 000 signatures en quelques heures. Les intellectuels ne sont pas les seuls à avoir un haut-le-cœur ; fait sans précédent, une centaine d’employés du musée a exprimé son dégoût sur les réseaux sociaux, ce qui pourrait leur faire perdre leur emploi.

«Si Demeter n'est pas démis de ses fonctions, les Hongrois et le reste du monde considéreront évidemment sa déclaration comme la position du gouvernement hongrois», estimait dimanche soir Gordon Bajnai, ancien Premier ministre (2009-2010). Mais hier, au Parlement, Mihaly Varga, vice-Premier ministre et ministre des Finances, a défendu le trublion. «Il a retiré sa tribune et supprimé sa page Facebook. Il a écrit que son article pouvait blesser la mémoire des victimes, il a donc admis son erreur.»

Deux poids deux mesures, a lancé le ministre à l'opposition. «Quand un maire a cité Hitler en exemple, vous n'avez pas demandé sa démission.» Le maire en question, Imre Laszlo, avait certes salué les grands travaux menés par Hitler en 1936-37. «Mais ce qu'il a fait en tant que dictateur nazi est impardonnable», avait ajouté l'édile.

Combat d’Orbán pour une culture nationale et chrétienne

Pour Andras Kepes, journaliste et écrivain, qui a annulé la présentation de son dernier livre prévue au musée dirigé par Szilard Demeter, la saillie de ce dernier n'est pas un simple dérapage. «Ceux qui l'ont nommé à ce poste savent très bien qui il est et ce qu'il pense.» C'est en 2018 que Szilard Demeter a pris la direction du Musée de la littérature pour remplacer Gergely Pröhle, un conservateur bon teint, ancien diplomate, jugé trop modéré par les cercles d'extrême droite qui ont eu sa peau. Originaire de Transylvanie (région aujourd'hui roumaine où vit une forte communauté magyare), et membre d'un groupe de rock nationaliste, Demeter était le candidat idéal. Nommé commissaire en 2019, il mène le combat d'Orbán pour une culture nationale et chrétienne. Il supervise ainsi un programme de subventions accordées aux auteurs qui écrivent sur le douloureux thème du traité de Trianon, cher aux irrédentistes, qui a privé en 1920 la Hongrie des deux tiers de son territoire.

«Demeter devrait démissionner, mais sa démission ne changera rien. Son intervention est dans la logique du régime, elle est née de sa rhétorique», analyse l'écrivain et doyen d'université Gabor Schein. Depuis plusieurs années, les médias progouvernementaux distillent un antisémitisme codé. George Soros, le milliardaire américain d'origine hongroise et juive, y est constamment présenté comme un «spéculateur». C'est «un criminel économique, […] l'une des personnes les plus corrompues au monde», déclarait récemment Viktor Orbán à la radio hongroise.