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Libération
Chronique «Les Mots secouent»

«Ледяной дождь», la pluie de glace russe, populaire et redoutée

Petit glossaire de la réalité russe à travers des mots qui n’ont pas toujours une traduction exacte, ni même d’équivalent, dans la réalité française.
Des personnes circulent entre les branches et arbres tombés sous le poids de la glace après une tempête verglaçante à Vladivostok, le 20 novembre. (Aleksander Khitrov/Photo Aleksander Khitrov. AP)
publié le 2 décembre 2020 à 12h44

Ледяной дождь, Ledianoï dojd, «Pluie de glace». Un phénomène météorologique typique du climat russe, qui se produit à la charnière entre l’automne et l’hiver, ou bien entre l’hiver et le printemps, lorsqu’une nuit glaciale succède à une journée pluvieuse. Le lendemain matin, tout, des branches des arbres au mobilier urbain, est recouvert d’une fine pellicule de glace.

Âge de pierre

Le phénomène est photogénique ; et à l’heure des réseaux sociaux, très populaire. Lors de ses épisodes à Moscou, Instagram, Facebook et autres VK (le principal réseau social russe), se couvrent de photos prises au smartphone par des promeneurs : le moulage d’une feuille morte dans la glace où l’on distingue chaque nervure, une branche de sureau comme figée dans du cristal… Mais c’est aussi un cauchemar pour les automobilistes, qui retrouvent le matin leur voiture prise dans une impénétrable gangue de glace qu’il leur faut faire fondre peu à peu à l’eau bouillante.

Photo Aleksander Khitrov. AP

Et parfois, la «pluie de glace» devient un drame. Dans un pays où, à l’exception des grandes villes, l’isolation géographique est la norme, le phénomène est aussi redouté : difficile à anticiper, imparable, il rend impraticables les routes, détruit les lignes électriques et de téléphone, et peut renvoyer à l’âge de pierre des villages isolés.

Scandale à Vladivostok

Fin novembre dernier, à Vladivostok, dans l’Extrême-Orient russe, une «pluie de glace» a paralysé la ville et forcé les autorités à fermer un pont suspendu vers les îles voisines, dont les haubans étaient pris dans la glace. Construit par des spécialistes français de Freyssinet, qui n’avaient pas pris en compte ce risque, il a dû être fermé pour évaluer les dégâts, alors que les villages des deux îles qu’il reliait au continent étaient privés d’eau courante, de chauffage, d’électricité et de téléphone, paralysés sous une couche de glace.

Un professionnel dégivre les amarres du pont Russky temporairement fermé à Vladivostok, le 30 novembre.

Photo Aleksander Khitrov. AP

L’affaire a provoqué un scandale en Russie, plus habituée à ironiser sur les déconvenues des pays d’Europe de l’Ouest paralysés par une chute de neige qu’à se retrouver dans la même situation. Elle a nourri, la rancœur grandissante des habitants de l’Extrême-Orient, se sentant laissés pour compte du redressement économique russe et abandonnés par le pouvoir central. Elle a aussi mis en évidence une nouvelle fois l’incurie des autorités dans cette région lointaine, qui ont mis plus d’une semaine pour organiser l’évacuation par navire des habitants, de déployer des groupes électrogènes et d’organiser un ravitaillement en nourriture, alors que les produits alimentaires avaient pratiquement disparu des magasins de l’île.

Au 1er décembre, seuls 118 des 168 haubans avaient été déglacés, à la main. Quant au rétablissement des lignes électriques, il n'est prévu que le 3 décembre, deux semaines après le début des coupures. Quatre jours plus tard, à partir du 7, les météorologues prévoient, dans la région de Vladivostok, un bref réchauffement pluvieux, suivi d'un nouvel épisode de grand froid… laissant craindre une nouvelle «pluie de glace».

Dans la partie est de Vladivostok, le 19 novembre.

Photo Yuri Maltsev. Reuters