C'est un départ forcé très commenté et très contesté. Plus de 1 200 employés de Google et plus de 1 800 universitaires et membres de la société civile réclament dans une pétition des explications et un engagement «sans équivoque» du géant du numérique à respecter l'intégrité scientifique et la liberté académique.
Au coeur du conflit : le licenciement cette semaine par la société américaine de Timnit Gebru, une chercheuse noire travaillant sur les questions d'éthique de l'intelligence artificielle. «Jusqu'au 2 décembre 2020, le Dr Gebru était l'une des très rares femmes noires chercheuses scientifiques de l'entreprise, qui compte au total 1,6% d'employées noires. Ses réalisations en matière de recherche sont considérables », rappelle la lettre de soutien qui s'accompagne du mot-clé #BelieveBlackWomen.
«Au lieu d'être considérée par Google comme une contributrice exceptionnellement talentueuse et prolifique, le Dr Gebru a dû faire face à la défensive, au racisme, à de la manipulation, à la censure de la recherche, et maintenant à un licenciement en représailles», poursuivent les soutiens de la chercheuse.
«Voix marginalisées»
Timnit Gebru a elle-même tweeté mercredi que ses supérieurs hiérarchiques avaient accepté sa démission... alors qu'elle affirme ne l'avoir pas soumise. Cette annonce est survenue après que la société aurait tenté de supprimer ses recherches et que Gebru a critiqué les efforts de l'entreprise en matière de diversité. D'après Reuters, l'article scientifique supposément censuré soutient que les entreprises technologiques pourraient faire plus pour s'assurer que les systèmes d'IA visant à imiter l'écriture et la parole humaines n'exacerbent pas les préjugés sexistes historiques et l'utilisation d'un langage offensant. Pour écarter la scientifique, Google aurait pris comme prétexte un email envoyé dans un groupe interne baptisé «Cerveaux féminins et alliés», dans lequel Timnit Gebru regrettait que la firme californienne «réduise au silence les voix marginalisées».
I was fired by @JeffDean for my email to Brain women and Allies. My corp account has been cutoff. So I've been immediately fired :-)
— Timnit Gebru (@timnitGebru) December 3, 2020
Dans ce message, la chercheuse évoquait un différend concernant ses recherches, mais exprimait aussi «plus largement sa frustration face aux programmes de diversité de Google», explique le Guardian. D'après le titre de presse, elle ecrivait par exemple : «Votre vie se détériore lorsque vous commencez à défendre des personnes sous-représentées, vous commencez à contrarier les autres dirigeants». «Les représailles de Google contre le Dr Gebru, et sa volonté de faire taire ces travaux, nous concernent tous», clame de son côté la lettre de soutien.
Reconnaissance faciale sexiste ?
Justifiant la demande de rétractation dans un courriel rendu public, le chef du département intelligence artificielle de Google, Jeff Dean, a expliqué que l’article signé par Gebru n’avait pas atteint les niveaux d’exigence nécessaire pour être publié. Par ailleurs, il explique que la chercheuse aurait posé plusieurs conditions à l'entreprise qui y aurait vu un ultimatum et décidé d'accepter son départ. Contacté par l’AFP à ce sujet, Google n’a pas répondu.
Numerama, qui revient sur la polémique dans un article au long cours, précise que «dans son mail, [Timnit Gebru] assure que son papier a été soumis à plus d'une trentaine de ses pairs pour des retours sur ses travaux, qu'elle a également averti en amont certains départements de Google sur son champ d'étude afin qu'ils puissent réagir et enfin qu'elle avait préparé différents scénarios pour s'adapter à d'éventuels retours négatifs».
Militante en faveur d'une plus grande diversité, Timnit Gebru a co-fondé le collectif «Black in AI», qui rassemble des chercheurs noirs dans le domaine de l'intelligence artificielle. Américaine d'origine éthiopienne, elle a étudié les biais de la reconnaissance faciale, notamment le sexisme et le racisme. En 2018, avant d'intégrer Google, elle montrait dans une étude qui avait fait beaucoup de bruit la difficulté des logiciels à reconnaître les visages féminins, et plus particulièrement les visages de femmes noires. Son licenciement intervient alors que Google a été sommé mercredi par une agence fédérale américaine de répondre à des accusations de surveillance à l'encontre de ses employés militants.